Memphis Krickeberg

Memphis Krickeberg

Doctorant.e
Pôle sociologie

Champs de recherche : théories de l'antisémitisme, gauches et antisémitisme, cultures mémorielles de la Shoah.

Memphis Krickeberg est doctorant au LIER sous la direction de Danny Trom ainsi qu'au département de sociologie de l'Université de Passau sous la direction en co-tutelle de Karin Stögner.  Il prépare une thèse intitulée " Étude comparée des controverses autour de la gauche et de l'antisémitisme en France et en Allemagne. 2000-2020." Il sera rattaché au Centre d'Études sur l'Antisémitisme de l'Université technique de Berlin en 2022. Il travaille entre autres en tant qu'assistant de recherche pour un projet autour de l'histoire visuelle de la Shoah piloté par le Département de Sciences Politiques de l'Université de Montréal.

Présentation de la thèse en cours :

En France et en Allemagne, les années 2000 et 2010 furent marquées par une nette recrudescence des actes antisémites, dont onze meurtres en France, par rapport aux décennies précédentes. Dans les controverses portant sur la nature, les groupes porteurs et les causes de ce phénomène, le rôle de la gauche est régulièrement pointé des deux côtés du Rhin. Pour une partie de la recherche sur l'antisémitisme contemporain et des acteurs étatiques ou associatifs en charge de la lutte contre l'antisémitisme ou s'exprimant sur le sujet, la gauche favoriserait un «nouvel antisémitisme » en pratiquant une démonisation d'Israël, en refusant de reconnaître l'antisémitisme lorsqu'il émane de populations elles-mêmes victimes de discriminations, en niant la portée de l'antisémitisme contemporain qui aurait été remplacé par le racisme anti-musulman ou dans le cadre d'une critique simpliste de la mondialisation néo-libérale.
Si l'on retrouve la thématique d'un «  antisémitisme de et à gauche » dans les deux pays, la manière dont les débats autour de cette question se posent, les acteurs qui y participent, les définitions de l'antisémitisme qui y sont mobilisées et les arènes sociales où ils se déroulent diffèrent à bien des égards. La question du rapport de la gauche à l'antisémitisme se pose de deux façons  : au tant qu'objet de débats internes aux forces de gauche, d'un côté, et dans les interactions, souvent conflictuelles, entre les acteurs de la gauche et ceux de la lutte contre l'antisémitisme, de l'autre. L'état des discussions dans un pays demeure peu connu et pris en compte dans les débats se déroulant dans l'autre.
Confrontées à la question de l'antisémitisme, les gauches allemandes et françaises tendent à adopter des positions souvent diamétralement opposées. En France, quand les intellectuels de gauche s'emparent de cette question, ils le font fréquemment pour contrer les accusations d'antisémitisme visant la gauche en contestant l'ampleur et la portée de l'antisémitisme contemporain. Pour une partie de la gauche française, l'accusation d'antisémitisme serait essentiellement une arme brandie par les tenants de l'ordre existant et leurs relais pour discréditer les combats antiracistes et antisionistes. La gauche allemande est au contraire beaucoup plus polarisée autour de la question de l'antisémitisme. Depuis les années 1980, suite à une confrontation avec le passé national-socialiste de l'Allemagne et avec les errements antisémites des mouvements antiimpérialistes des années 1960-1980, une large partie de la gauche a développé une sensibilité accrue à l'antisémitisme ainsi qu'une orientation pro-israélienne même si des mouvances antiimpérialistes et antisionistes subsistent. 

La thèse en sociologie politique de Memphis Krickeberg interroge les trajectoires différentes des débats autour de la gauche et de l'antisémitisme en France et en Allemagne. Ses objectifs sont doubles. D'abord, partant d'un ensemble de controverses autour de cette question entre 2000 et 2020, elle entend restituer et comparer la manière dont ces débats se déroulent et s'organisent dans les deux pays. À partir des outils de la sociologie et de la cartographie des controverses, il s'agira d'objectiver et de produire une vision englobante des conflits autour du rapport de la gauche à l'antisémitisme en les restituant dans leurs environnements culturels et politiques propres. Ensuite, le projet se propose d'identifier les facteurs qui déterminent les positionnements de la gauche face à l'antisémitisme et la direction générale des débats autour de la question dans les deux pays.
Aborder la question de l'antisémitisme de gauche par les controverses permet non seulement de faire ressortir plus nettement les divisions existantes (par exemple entre approches post-coloniales et francfortoises) au sein de la gauche mais aussi de resituer les acteurs de la gauche au sein des rapports de pouvoir qui structurent les sociétés. 

Par ailleurs, les controverses ne sont pas seulement le lieu d'expression d'opinions pré-existantes mais produisent des effets et concourent éventuellement à la modification des positionnements en présence et à l'évolution des opinions admises dans le public. Son étude entend ainsi voir comment les cadres de compréhension de l'antisémitisme à gauche se transforment et comment les controverses peuvent être propices à l'émergence de nouvelles voix minoritaires qui en France cherchent par exemple à thématiser la question de l'antisémitisme de gauche depuis le milieu des années 2010. Il s'agira notamment de voir comment le rapport à l'antisémitisme participe de l'auto-définition de la gauche à travers par exemple en France la fracture entre une gauche néo-sociale-démocrate/populiste (LFI) et radicale (NPA, UJFP, mouvements autonomes et antiracistes politiques) aux penchants antisionistes appuyés d'un côté et une gauche (néo)libérale (PS, SOS Racisme, UEJF) sensible à la question de l'antisémitisme et solidaire avec Israël de l'autre. 

La période étudiée constitue en outre un moment de transformation massive des espaces publics marqué par la démocratisation d'internet et l'émergence des réseaux sociaux. Ces bouleversements accélèrent une tendance à la fragmentation de l'espace public et favorisent l'apparition d'arènes où le tabou de l'expression antisémite est mis à mal.
Les controverses que Memphis Krickeberg étudient impliquent la gauche de diverses façons  : soit celle-ci participe à des controverses autour de l'antisémitisme dans la société au même titre que d'autres acteurs, soit elle est en position d'accusée soit au contraire elle lance une offensive autour de ces sujets. Le champ des controverses étudié englobe trois thèmes : l'antisionisme, la mémoire de la Shoah et son rapport à d'autres mémoires notamment celle du colonialisme et la place de l'antisémitisme dans les mouvements antiracistes.
 La thèse de Memphis Krickeberg entend évaluer le poids de cinq ensembles de facteurs permettant de comprendre l'orientation des débats  : la matrice théorique et idéologique à travers laquelle la gauche pense la société, la sociologie et l'influence sociale de la gauche, le rapport de la gauche aux mouvements sociaux dans lesquels peut s'exprimer de l'antisémitisme, la place qu'occupe la mémoire de la Shoah dans l'espace public et la manière dont la gauche se positionne par rapport à cette mémoire, la présence (France) ou l'absence (Allemagne) d'une forte opinion publique juive s'exprimant autour des enjeux d'antisémitisme et la relation qu'elle entretient à la gauche.
Les facteurs identifiés relèvent à ce stade d’hypothèses de travail. La confrontation avec le matériau étudié devrait permettre de faire émerger de nouveaux facteurs et d'invalider des hypothèses de départ. 

La comparaison avec l’Allemagne devrait s’avérer productive en faisant notamment apparaître par contraste ce qui semble parfois bloquer la compréhension de l'antisémitisme et en désactiver la critique au sein de la gauche française.