Comptes rendus des séminaires - Régis Ponsard

2018-2019

Pas de séminaire.

2019-2020

Renouveler l’analyse juridique des droits et libertés fondamentaux par l’épistémologie juridique

Régis Ponsard (LIER-FYT)
Xavier Souvignet (Université Grenoble Alpes)

Présentation :

L’étude des analyses juridiques des droits et libertés fondamentaux révèle un paradoxe : le déploiement de la protection juridique des droits et libertés fondamentaux par voie dispositionnelle et jurisprudentielle à tous les niveaux de la hiérarchie des normes des systèmes juridiques censés poursuivre l’idéal d’un État de droit fort, ne s'est pas accompagné d’un progrès corrélatif de la théoriejuridique générale de ces droits et libertés. Les informations juridiques particulières fournies sur tel ou tel droit ou liberté sont légions. Mais, les connaissances acquises et justifiées scientifiquement, comme plus généralement les cadres susceptibles d’être qualifiés de « théorie générale des droits et libertés fondamentaux » (et à même d’identifier ainsi la grammaire de ces objets juridiques et de mettre à jour les moyens intellectuels propres à les analyser de façon juridiquement et scientifiquement critique) sont, en France, comme sur la scène internationale, peu nombreux et loin d’être en mesure de répondre scientifiquement à des questions qui pourraient pourtant paraître élémentaires – quels que soient par ailleurs les notables et précieux succès accomplis par certaines recherches.

Une philosophie des droits et des libertés fondamentaux n’est pas une théorie juridique de ces structures juridiques de protection. De plus, la mise en oeuvre efficace de toute doctrine des droits et libertés fondamentaux dépend aussi de la théorisation juridique de ces instruments normatifs. Or, contrairement à une idée reçue communément partagée y compris dans l’opinio juris, la science du droit en l’état de ses développements n’offre pas véritablement aux juristes (magistrats, avocats, conseillers juridiques, universitaires….), ainsi qu’aux destinataires des normes désireux de connaître leurs droits et libertés juridico-politiques – et plus généralement à tous ceux en mesure de transcrire juridiquement des idéaux politiques – les moyens intellectuels de saisir et donc de maîtriser par la connaissance ces structures dans nombre de leurs composantes et dimensions juridiques les plus caractéristiques. Cela contribue à expliquer certaines des illusions juridiques sur l’état réel de la capacité des systèmes juridiques à faire ce qu’ils semblent pourtant annoncer en matière de protection de ces droits et libertés fondamentaux, et le décalage existant entre la confiance placée dans ces structures et la relative insuffisance théorique de leur analyse juridique réelle, favorisée par la grande complexité des problèmes scientifiques qu’elles soulèvent. Leurs études en droit sont ainsi sous la dépendance de la pensée juridique, et plus exactement de la capacité de la théorie du droit et des développements de l’épistémologie juridique appliquée à les penser.

Le séminaire se donnera pour objets d’études, au cours de cette première année, de penser notamment : l’absence d’identification liminaire explicite opératoire (pourtant logiquement exigée) des concepts d’analyse des « droits » et « libertés fondamentaux », dans les études juridiques censées pourtant former les professionnels du droit à l’étude de ces droits et libertés ; l’absence, dans ces études, de théorisation et donc d’explicitation de l’articulation juridique imposée par les systèmes juridiques étudiés, entre les niveaux de protection des droits et libertés fondamentaux dans la hiérarchie des normes ; l’absence d’imagination par les doctrines du droit, de nouvelles règles de résolution des conflits de normes relatifs aux droits et libertés fondamentaux bien plus élaborées et efficaces que celles encore aujourd’hui présentes dans les systèmes juridiques et les nouveaux textes de protection des droits et libertés (à l’image, par exemple, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) ; l’insuffisante théorisation des différents types d’objets susceptibles d’être qualifiés de « réserve législative » etc.

Nous analyserons également les problèmes et débats scientifiques aujourd’hui soulevés par l’introduction dans le contrôle opéré par la Cour de cassation française du « contrôle » dit « de proportionnalité », censé être exigé par le respect par l’État Français de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme, ainsi que les conséquences de « la reconnaissance d’une autorité de chose interprétée » aux décisions de nombreuses juridictions nationales, européennes et communautaires, et leurs incidences aujourd’hui sur la capacité non seulement pour tout « honnête homme » mais pour la science du droit la plus avancée à offrir les moyens de connaître avant que l’on agisse, ce qui est obligatoire, permis ou interdit, juridiquement.

L’étude des analyses juridiques des droits et libertés fondamentaux à la lumière des recherches en épistémologie juridique pourrait en effet révéler cette autre conséquence paradoxale, et lourde de conséquences, de la protection contemporaine des droits et libertés relativement à la sécurité juridique. L’épistémologie juridique appliquée peut tout à la fois aider à mettre à jour cette conséquence et rechercher à contribuer à l’éliminer, en permettant à la philosophie du droit, à la philosophie politique, aux doctrines générales du droit et de l’État qui le souhaiteraient, de disposer des moyens juridiques de leurs déploiements efficaces. Toutefois, c’est à la condition que cette épistémologie juridique soit élaborée – comme nous le proposons – à partir d’une articulation épistémologiquement réfléchie (au cœur d’une science du droit digne de ce nom), de la théorie générale du droit et de l’État avec les disciplines et sciences humaines et sociales dont elle a constitutivement besoin, et auxquelles elle peut offrir réciproquement ses apports.

2020-2021

Penser la dimension juridique des néolibéralismes

Régis Ponsard (LIER-FYT)
Fabien Bottini (Université Le Havre Normandie)

Compte rendu :

La science du droit qui a tant à apprendre des autres disciplines et sciences, a-t-elle élaboré des concepts juridiques d’analyse des néolibéralismes ? Pourquoi ? Quels types de savoirs scientifiques peut-elle dispenser sur les réalités ainsi désignées ? Quels savoirs juridiques produit-elle sur ces réalités ? Quels sont les types d’enseignements que peut délivrer l’épistémologie juridique appliquée, autrement dit la science et l’épistémologie juridiques dans l’étude de la dimension juridique des néolibéralismes ? D’ailleurs, ce que les autres disciplines disent de la dimension juridique des néolibéralismes est-il vrai ? Ce séminaire dont la première phase a débuté au second semestre 2021 est autant une enquête sur le savoir juridique, ses forces et faiblesses, sur ce qu’une science du droit digne de ce nom peut apporter au concert des sciences humaines et sociales, que sur le discours des disciplines et sciences qui assertent sur le droit, disent décrire la réalité de la dimension juridique du monde. Il porte ainsi sur les questions épistémologiques soulevées par l’étude juridique notamment en droit comparé, des néolibéralismes, par l’analyse juridique de la dimension juridique des néolibéralismes en science du droit.

Le séminaire s’est attaché ainsi, par exemple, à montrer pourquoi nombre de cadres juridiques d’analyse y compris quand ils jouent le jeu de la science du droit et ne se contentent pas de pratiques a-scientifiques ou anti-scientifiques, ne permettent pas de voir ce qu’ils devraient pourtant révéler, autant la part que prend le droit dans ces phénomènes que ce que ce dernier pourrait faire face à eux, compte tenu de ses ressources propres. Ainsi par exemple, a-t-on analysé le relatif silence (à de notables exceptions) des constitutionnalistes en France, mais pas uniquement, des études du droit des droits et libertés fondamentaux et pas seulement, sur les néolibéralismes. Nous avons travaillé à identifier les causes et les raisons de ce silence de ces analyses juridiques, en nous demandant quelles défaillances épistémologiques sont au principe de cet apparent mutisme qui a pour origine une certaine cécité dont il est possible de rendre compte épistémologiquement.

De même, au-delà des terrains parfois perçus comme plus facilement identifiables par les non-juristes, que sont le droit pénal et la procédure pénale, voire le droit du travail, ce sont toutes les dîtes « branches du droit » qui sont ici poinçonnées quant à leur capacité à saisir certaines réalités, et pas uniquement le droit hospitalier, le droit budgétaire, le droit des finances publiques, et le droit administratif général ou spécial (droit de la commande publique, droit de l’urbanisme,…) ; toutes devraient être citées, et pas uniquement le droit universitaire ou des libertés académiques, et bien évidemment le droit international, le droit communautaire, les droits dit « droit public économique », « commercial », le « droit de la concurrence », « des affaires » etc.… C’est bien sûr par exemple, les évolutions du droit des obligations, du droit de la famille, du droit de l’arbitrage, du droit militaire, du droit dit « des collectivités territoriales » etc. qui ont été interrogées, comme l’ont montré les premières investigations réalisées dans la première phase de cette enquête qui va ainsi à partir de toute une série de nouveaux terrains, déployer pleinement l’exposé de ses théorisations tout au long d’une nouvelle année d’étude.

Le séminaire a travaillé à mettre en lumière un certain nombre de paradoxes et a surtout permis de penser pleinement l’effort théorique qu’impose dans un premier temps l’étude de la dimension juridique des néolibéralismes en proposant un tableau analytique de cette dernière. Il a ainsi, par exemple, pensé pour ce faire la connexion et l’articulation des savoirs juridiques conquis et produits dans des sous-disciplines internes à la discipline juridique, et qui contrairement à une idée reçue, ne communiquent pas autant qu’on pourrait l’imaginer dans l’effort visant à analyser juridiquement et scientifiquement les systèmes juridiques et leurs évolutions.

Renouveler l’analyse juridique des droits et libertés fondamentaux par l’épistémologie juridique

Régis Ponsard (LIER-FYT)
Xavier Souvignet (Université Grenoble Alpes)

Compte rendu :

L’étude des analyses juridiques des droits et libertés fondamentaux révèle un paradoxe : le déploiement de la protection juridique des droits et libertés fondamentaux par voie dispositionnelle et jurisprudentielle à tous les niveaux de la hiérarchie des normes des systèmes juridiques censés poursuivre l’idéal d’un État de droit fort, ne s’est pas accompagné d’un progrès corrélatif de la théorie juridique générale de ces droits et libertés. Les informations juridiques particulières fournies sur tel ou tel droit ou liberté sont légion. Mais, les connaissances acquises et justifiées scientifiquement, comme plus généralement les cadres susceptibles d’être qualifiés de « théorie générale des droits et libertés fondamentaux » (et à même d’identifier ainsi la grammaire de ces objets juridiques et de mettre à jour les moyens intellectuels propres à les analyser de façon juridiquement et scientifiquement critique) sont, en France, comme sur la scène internationale, peu nombreux et loin d’être en mesure de répondre scientifiquement à des questions qui pourraient pourtant paraître élémentaires – quels que soient par ailleurs les notables et précieux succès accomplis par certaines recherches.

Une philosophie des droits et des libertés fondamentaux n’est pas une théorie juridique de ces structures juridiques de protection. De plus, la mise en œuvre efficace de toute doctrine des droits et libertés fondamentaux dépend aussi de la théorisation juridique de ces instruments normatifs. Or, contrairement à une idée reçue communément partagée y compris dans l’opinio juris, la science du droit en l’état de ses développements n’offre pas véritablement aux juristes (magistrats, avocats, conseillers juridiques, universitaires…), ainsi qu’aux destinataires des normes désireux de connaître leurs droits et libertés juridico-politiques – et plus généralement à tous ceux en mesure de transcrire juridiquement des idéaux politiques – les moyens intellectuels de saisir et donc de maîtriser par la connaissance ces structures dans nombre de leurs composantes et dimensions juridiques les plus caractéristiques. Cela contribue à expliquer certaines des illusions juridiques sur l’état réel de la capacité des systèmes juridiques à faire ce qu’ils semblent pourtant annoncer en matière de protection de ces droits et libertés fondamentaux, et le décalage existant entre la confiance placée dans ces structures et la relative insuffisance théorique de leur analyse juridique réelle, favorisée par la grande complexité des problèmes scientifiques qu’elles soulèvent. Leurs études en droit sont ainsi sous la dépendance de la pensée juridique, et plus exactement de la capacité de la théorie du droit et des développements de l’épistémologie juridique appliquée à les penser.

L’étude des analyses juridiques des droits et libertés fondamentaux à la lumière des recherches en épistémologie juridique révèle cette autre conséquence paradoxale, et lourde de conséquences, de la protection contemporaine des droits et libertés relativement à la sécurité juridique. Le développement de la protection des droits et libertés fondamentaux tend à remettre en cause la liberté juridique des destinataires des normes juridiques et leur capacité à être juridiquement à même d’identifier avant d’agir ce qui est juridiquement obligatoire, permis ou interdit. L’épistémologie juridique appliquée peut, comme la première partie de notre enquête l’a montré, tout à la fois aider à mettre à jour cette conséquence et rechercher à l’éliminer, en permettant à la philosophie du droit, à la philosophie politique, aux doctrines générales du droit et de l’État qui le souhaiteraient, de disposer des moyens juridiques de leurs déploiements efficaces. Toutefois, comme cette enquête va pleinement en déployer la théorisation tout au long des nouvelles étapes de cette recherche, c’est à la condition que cette épistémologie juridique soit élaborée à partir d’une articulation épistémologiquement réfléchie (au cœur d’une science du droit digne de ce nom), de la théorie générale du droit et de l’État avec les disciplines et sciences humaines et sociales dont elle a constitutivement besoin, et auxquelles elle peut offrir réciproquement ses apports. Cela permettra notamment de poursuivre l’objectif de proposer une nouvelle manière de penser non seulement ce que sont les dites « théories générales des droits et libertés fondamentaux » mais aussi ce qu’elles pourraient et devraient être en science du droit.

2021-2022

Penser la dimension juridique des néolibéralismes

Régis Ponsard (LIER-FYT)
Fabien Bottini (Université Le Havre Normandie)

Compte rendu :

L’année 2021-2022 aura été en tous points riche de déploiements pour la recherche entreprise. Elle a permis par exemple d’approfondir la confrontation de la théorisation systématisée et transversale de la dimension juridique des néolibéralismes, théorisation que nous avons progressivement construite ces dernières années, à d’autres champs que celui du monde hospitalier – champ que nous avions commencé à étudier avant l’avènement de la covid-19 et de son devenir  –, en révélant scientifiquement, l’épaisse teneur, les effets et les modes de la diffusion englobante des cultures néo-libérales qui travaillent à façonner le monde à leurs images, y compris en France et ce, quelle que soit par ailleurs ce qui est appelé trop rapidement le « niveau de redistribution sociale assurée en France ».

L’étude dans un premier temps, par exemple, du devenir de l’exercice des fonctions de Procureur général ou de Procureur de la République, mais plus généralement de la dite « haute magistrature » au sein du ministère public comme du siège, et l’évolution surtout des conditions de travail et du travail des magistrats judiciaires français à tous les niveaux de la dite « hiérarchie judiciaire », ainsi tant à la Cour de cassation – censée être ‘’protégée’’ de certaines évolutions –, que dans les diverses juridictions judiciaires françaises, a été riche d’enseignements qui nous ont conduit à placer désormais l’étude de ce champ et droit judiciaires en ouverture de l’un des ouvrages que nous sommes en train de réaliser grâce à ce séminaire, tant les évolutions que notre analyse met à jour sont aussi symptomatiques qu’instructives.

L’année 2021-2022 a été celle notamment de la pétition signée par des milliers de magistrats judiciaires, suite au suicide de l’une d’entre eux, dénonçant  –  comme au sein des hôpitaux et de tant d’autres services étatiques – les évolutions asservissantes de logiques idéologiques transformant de fond en comble la nature des missions dite de « service public » exercées, et par exemple là encore les types de profils professionnels et humains dont ces idéologies (en un sens très précis que nous expliciterons et justifierons) favorisent l’avènement et le déploiement.

Tel le discours fort – jadis évoqué par Erving Goffman – qui à l’image du pompier pyromane travaille par ses effets à valider en apparence son plus ample déploiement, les idéologies néo-libérales sont objectivement identifiables, thématisables, conceptualisables et problématisables de façon transversales et via l’étude des différentes formes juridiques de leur déploiements. Faire apparaître via une analyse que nous appelons « analyse juridique pluridimensionnelle du droit », le visage des néolibéralismes en éclairant notamment la dimension juridique de ces derniers, qui ne se limite pas (contrairement à une idée reçue) à la nature des normes juridiques en vigueur – ainsi que notre ouvrage va le démontrer –, révèle ce que ces représentations réalisées œuvrent à faire advenir, et les souffrances colossales qu’elles rendent possibles. Les nombreuses personnes invitées à intervenir dans le séminaire de cette année, comme toutes celles que nous avons rencontrées en dehors des séances, dans le cadre de nos diverses enquêtes ont constitué pour notre recherche des matériaux à bien des égards scientifiquement extraordinairement précieux. Elles nous ont permis de détecter bien des analogies et des identités de structures jusque-là passées inaperçues en l’état de la recherche internationale, à travers des champs pourtant en apparences très différents, entre par exemple les expériences vécues et les témoignages et analyses offerts par des procureurs généraux de la République, des Professeurs de médecine chef de services hospitaliers, des Généraux de l’armée de terre, des Diplomates, des Préfets etc ; tous nous ont permis d’identifier objectivement des évolutions dont le caractère au minimum similaire ou semblable a ainsi tout particulièrement contribué à nourrir notre analyse, notre théorisation et systématisation, en contrepoint de tout ce qui travaille à rendre invisible la part que prend le droit dans la pénétration de ces idéologies, et la manière dont il pourrait aussi travailler à en être l’un des principaux moyens pour au contraire s’en protéger, telle une pharmacopée.  

Renouveler l’analyse juridique des droits et libertés fondamentaux par l’épistémologie juridique

Régis Ponsard (LIER-FYT)
Xavier Souvignet (Université Grenoble Alpes)

Compte rendu :

La recherche réalisée au cours de l’année 2021-2022 a permis de nombreuses avancées dont les séances de séminaire ont été classiquement tout à la fois un lieu d’élaboration et d’exposition. Ces avancées ont concerné chacun des objets d’investigation présentés dans le résumé du séminaire de cette année. Pour ne prendre qu’un exemple, les travaux réalisés ont permis de proposer une autre manière de penser en science du droit ce que sont les dites « théories générales des droits et libertés fondamentaux » présentes en langue française, ainsi que dans la recherche internationale mais aussi ce qu’elles pourraient et devraient être en science du droit. Par exemple, ont été proposés (par Régis Ponsard) plusieurs nouveaux concepts d’analyse permettant de distinguer, c’est-à-dire tout à la fois de ne pas confondre et de voir, en les analysant, des aspects et pans des systèmes juridiques s’inscrivant dans la lignée du droit public moderne et qui à défaut demeurent invisibles.

La distinction ainsi opérée par Régis Ponsard entre les concepts ici forgés de façon spécifique et désignés par les expressions de « théories des droits et libertés », puis de « doctrines des droits et libertés », ainsi que la manière dont il pense leurs articulations dans l’analyse du droit, dans l’imagination du droit comme l’interprétation, l’application et la mise en œuvre de ce dernier offrent des perspectives sur la manière d’appréhender le droit des droits et libertés fondamentaux . Il s’est agi tout au long de l’année, tout à la fois de mettre en œuvre et de soumettre à un examen critique ces concepts d'analyse, afin de tester leur potentielle fertilité et pertinence scientifiques dans l’étude juridique du droit des droits et libertés fondamentaux.

Beaucoup de recherches de cette année mais aussi de séances du séminaire ont été ainsi plus généralement consacrées aux rôles et aux fonctions indispensables joués en science du droit par l’élaboration de concepts juridiques d’analyse aptes à objectiver ce qui sans eux n’est pas analysé véritablement, et n’est pas réellement objectivable. La théorie des concepts juridiques, de leurs types et fonctions a occupé une place importante dans notre travail. Ont ainsi été proposées par exemple des conceptualisations nouvelles concernant tous les objets d’études du séminaire. Par exemple là encore, un concept d’analyse de ce que serait « l’insécurité juridique » (qui n’est pas un concept identique à celui de « sécurité juridique non satisfaite ») a été forgé et proposé par régis Ponsard, ainsi qu’un concept d’analyse de ce qu’il saisit sous le nom de « principe d’imprévisibilité » comme étant une forme spécifique de ce qu’Étienne Picard a théorisé sous le nom de « règle du droit », méta-concept que nous avons proposé également de per-élaborer en le façonnant davantage et différemment. Ainsi par exemple, le séminaire a été l’occasion de montrer comment une théorisation plus profonde et différentes de ce que sont les concepts juridiques permettait de mettre en lumière toute une série d’enseignements quant à la justification de l’existence même par exemple d’un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori, comme dans l’analyse de ce contrôle en contentieux constitutionnels comparés etc.

Nous avons également consacré une place très importante à l’analyse des dits « principes » et « contrôles » de proportionnalité, au cœur de tant d’enjeux et d’évolutions au moins au sein du Conseil de l’Europe, ce qui nous a conduit parallèlement à mettre en œuvre des rencontres et des collaborations internationales qui vont prendre la forme en 2023 d'un cycle de conférences et de rencontres internationales, relevant en grande partie de l’épistémologie juridique appliquée, et donc du droit comparé, et intitulé : « La proportionnalité dans tous ses États ».

De mêmes, les nombreuses recherches et séances consacrées à l’étude approfondie des usages juridiques idéologiques des algorithmes en droit ont permis de systématiser méthodologiquement nos travaux à partir de nouvelles questions structurantes. À l’image par exemple de l’utilisation systématique de l’analyse juridique de la conformité juridique ou non des normes juridiques générales (quelles que soient leur place dans la hiérarchie des normes du système juridique considéré) aux exigences qui sont censées être celles imposées par l’idée d’œuvre du droit public moderne et l'anthropologie qui est à son principe.  

2022-2023

Penser la dimension juridique des néolibéralismes

Régis Ponsard (LIER-FYT)
Fabien Bottini (Université Le Havre Normandie)

Présentation :

La science du droit qui a tant à apprendre des autres disciplines et sciences, a-t-elle élaboré des concepts juridiques d’analyse des néolibéralismes ? Pourquoi ? Quels types de savoirs scientifiques peut-elle dispenser sur les réalités ainsi désignées ? Quels savoirs juridiques produit-elle sur ces réalités ? Quels sont les types d’enseignements que peut délivrer l’épistémologie juridique appliquée, autrement dit la science et l’épistémologie juridiques dans l’étude de la dimension juridique des néolibéralismes ? D’ailleurs, ce que les autres disciplines disent de la dimension juridique des néolibéralismes est-il vrai ? Ce séminaire dont la première phase a débuté au second semestre 2021 est autant une enquête sur le savoir juridique, ses forces et faiblesses, sur ce qu’une science du droit digne de ce nom peut apporter au concert des sciences humaines et sociales, que sur le discours des disciplines et sciences qui assertent sur le droit, disent décrire la réalité de la dimension juridique du monde. Il porte ainsi sur les questions épistémologiques soulevées par l’étude juridique notamment en droit comparé, des néolibéralismes, par l’analyse juridique de la dimension juridiquedes néolibéralismes en science du droit.

Le séminaire s’attache ainsi, par exemple, à montrer pourquoi nombre de cadres juridiques d'analyse y compris quand ils jouent le jeu de la science du droit et ne se contentent pas de pratiques a-scientifiques ou anti-scientifiques, ne permettent pas de voir ce qu’ils devraient pourtant révéler, autant la part que prend le droit dans ces phénomènes que ce que ce dernier pourrait faire face à eux, compte tenu de ses ressources propres. Ainsi par exemple, pourra-t-on penser le relatif silence (à de notables exceptions) des constitutionnalistes en France, mais pas uniquement, des études du droit des droits et libertés fondamentaux et pas seulement, sur les néolibéralismes. Quelles sont alors les causes et les raisons de ce silence de ces analyses juridiques ? Quelles défaillances épistémologiques sont au principe de cet apparent mutisme qui a pour origine une certaine cécité dont il est possible de rendre compte épistémologiquement ?  

De même, au-delà des terrains parfois perçus comme plus facilement identifiables par les non juristes, que sont le droit pénal et la procédure pénale, voire le droit du travail, ce sont toutes les dîtes « branches du droit » qui sont ici poinçonnées quant à leur capacité à saisir certaines réalités, et pas uniquement le droit hospitalier, le droit budgétaire, le droit des finances publiques, et le droit administratif général ou spécial (droit de la commande publique, droit de l’urbanisme, …) ; toutes devraient être citées, et pas uniquement le droit universitaire ou des libertés académiques, et bien évidemment le droit international, le droit communautaire, les droits dit « droit public économique », « commercial », le « droit de la concurrence », « des affaires » etc… C’est bien sûr par exemple, les évolutions du droit des obligations, du droit de la famille, du droit de l’arbitrage, du droit militaire, du droit dit « des collectivités territoriales » etc qui doivent être également interrogées, comme l’ont montré les premières investigations réalisées dans la première phase de cette enquête qui à partir de toute une série de nouveaux terrains a permis de déployer pleinement l’exposé de ses théorisations tout au long de la deuxième phase de ce séminaire. L'évolution de l'hôpital notamment a aimanté nombre de nos investigations. 

Ces investigations nous ont offert les moyens de mettre en lumière un certain nombre de paradoxes et de penser pleinement l’effort théorique qu’imposait dans un premier temps l’étude de la dimension juridique des néolibéralismes en proposant un tableau analytique de cette dernière. Notre recherche nous a conduit ainsi, par exemple, à analyser pour ce faire la connexion et l’articulation des savoirs juridiques conquis et produits dans des sous-disciplines internes à la discipline juridique, et qui contrairement à une idée reçue, ne communiquent pas autant qu’on pourrait l’imaginer dans l’effort visant à analyser juridiquement et scientifiquement les systèmes juridiques et leurs évolutions. Au cours de ce qui sera le troisième temps de notre investigation, nous confronterons la théorisation que nous avons progressivement forgée à l’analyse de l’évolution des conditions de travail des magistrats judiciaires français, mais aussi notamment des militaires, des diplomates et des préfets. Nous consacrerons également une partie importante de notre investigation à l’évolution du droit universitaire. 

Renouveler l’analyse juridique des droits et libertés fondamentaux par l’épistémologie juridique

Régis Ponsard (LIER-FYT)
Xavier Souvignet (Université Lumière-Lyon 2)

Présentation :

L’étude des analyses juridiques des droits et libertés fondamentaux révèle un paradoxe : le déploiement de la protection juridique des droits et libertés fondamentaux par voie dispositionnelle et jurisprudentielle à tous les niveaux de la hiérarchie des normes des systèmes juridiques censés poursuivre l’idéal d’un État de droit fort, ne s'est pas accompagné d’un progrès corrélatif de la théorie juridique générale de ces droits et libertés. Les informations juridiques particulières fournies sur tel ou tel droit ou liberté sont légion. Mais, les connaissances acquises et justifiées scientifiquement, comme plus généralement les cadres susceptibles d’être qualifiés de « théorie générale des droits et libertés fondamentaux » (et à même d’identifier ainsi la grammaire de ces objets juridiques et de mettre à jour les moyens intellectuels propres à les analyser de façon juridiquement et scientifiquement critique) sont, en France, comme sur la scène internationale, peu nombreux et loin d’être en mesure de répondre scientifiquement à des questions qui pourraient pourtant paraître élémentaires – quels que soient par ailleurs les notables et précieux succès accomplis par certaines recherches.

Une philosophie des droits et des libertés fondamentaux n’est pas une théorie juridique de ces structures juridiques de protection. De plus, la mise en œuvre efficace de toute doctrine des droits et libertés fondamentaux dépend aussi de la théorisation juridique de ces instruments normatifs. Or, contrairement à une idée reçue communément partagée y compris dans l’opinio juris, la science du droit en l’état de ses développements n’offre pas véritablement aux juristes (magistrats, avocats, conseillers juridiques, universitaires….), ainsi qu’aux destinataires des normes désireux de connaître leurs droits et libertés juridico-politiques – et plus généralement à tous ceux en mesure de transcrire juridiquement des idéaux politiques – les moyens intellectuels de saisir et donc de maîtriser par la connaissance ces structures dans nombre de leurs composantes et dimensions juridiques les plus caractéristiques. Cela contribue à expliquer certaines des illusions juridiques sur l’état réel de la capacité des systèmes juridiques à faire ce qu’ils semblent pourtant annoncer en matière de protection de ces droits et libertés fondamentaux, et le décalage existant entre la confiance placée dans ces structures et la relative insuffisance théorique de leur analyse juridique réelle, favorisée par la grande complexité des problèmes scientifiques qu’elles soulèvent. Les études de ces structures en droit sont ainsi sous la dépendance de la pensée juridique, et plus exactement de la capacité de la théorie du droit et des développements de l’épistémologie juridique appliquée à les penser.

Le séminaire dont la première phase a débuté au second semestre 2021 s’est  donné pour objets d’étude, au cours de cette première partie, de penser notamment : l’absence d’identification liminaire explicite opératoire (pourtant logiquement exigée) des concepts d’analyse des « droits » et « libertés fondamentaux », dans les études juridiques censées pourtant former les professionnels du droit à l’étude de ces droits et libertés ; l’absence, dans ces études, de théorisation et donc d’explicitation de l’articulation juridique imposée par les systèmes juridiques étudiés, entre les niveaux de protection des droits et libertés fondamentaux dans la hiérarchie des normes ; l’absence d’imagination par les doctrines du droit, de nouvelles règles de résolution des conflits de normes relatifs aux droits et libertés fondamentaux bien plus élaborées et efficaces que celles encore aujourd’hui présentes dans les systèmes juridiques et les nouveaux textes de protection des droits et libertés (à l’image, par exemple, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) ; l’insuffisante théorisation des différents types d’objets susceptibles d’être qualifiés de « réserve législative » etc.

Nous avons analysé tout particulièrement dans cette seconde phase de notre investigation les problèmes et débats scientifiques aujourd’hui soulevés par l’introduction dans le contrôle opéré par la Cour de cassation française du « contrôle » dit « de proportionnalité », censé être exigé par le respect par l’État Français de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme, ainsi que les conséquences de « la reconnaissance d’une autorité de chose interprétée » aux décisions de nombreuses juridictions nationales, européennes et communautaires, et leurs incidences aujourd’hui sur la capacité non seulement pour tout « honnête homme » mais aussi pour la science du droit la plus avancée à offrir les moyens de connaître avant que l’on agisse, ce qui est obligatoire, permis ou interdit, juridiquement. L’étude des analyses juridiques des droits et libertés fondamentaux à la lumière des recherches en épistémologie juridique a révélé cette autre conséquence paradoxale, et lourde de conséquences, de la protection contemporaine des droits et libertés relativement à la sécurité juridique.

L’épistémologie juridique appliquée peut en effet – comme la première phase de notre enquête l’a mis en lumière – tout à la fois aider à mettre à jour cette conséquence (et d’autres que le séminaire a permis d’identifier) mais aussi permettre de rechercher à contribuer à éliminer si besoin ces conséquences, en offrant à la philosophie du droit, à la philosophie politique, aux doctrines générales du droit et de l’État qui le souhaiteraient, les moyens de disposer des instruments juridiques de leurs déploiements efficaces.

Toutefois, comme cette enquête en a déployé la théorisation tout au long de sa deuxième étape, c’est à la condition que cette épistémologie juridique soit élaborée à partir d’une articulation épistémologiquement réfléchie (au cœur d’une science du droit digne de ce nom), de la théorie générale du droit et de l’État avec les disciplines et sciences humaines et sociales dont elle a constitutivement besoin, et auxquelles elle peut offrir réciproquement ses apports.

Le séminaire travaille ainsi à poursuivre l’objectif visant à proposer une nouvelle manière de penser non seulement ce que sont les dites « théories générales des droits et libertés fondamentaux » mais aussi ce qu’elles pourraient et devraient être en science du droit.

La troisième phase de notre enquête continuera son investigation sur les fondements du droit public moderne, sur le sens juridique de la liberté, de l’égalité et de la fraternité en droit public français, en confrontant notamment l’identification exacte des normes juridiques censées transposer juridiquement l’idée d’œuvre du droit constitutionnel français (article 1 de la constitution du 4 octobre 1958), à la réalité effective de ce qui fait ou non la capacité juridique du droit-infra constitutionnel à poursuivre dans le même temps juridiquement ces objectifs censés être fondationnels.