Comptes rendus des séminaires - Otto Pfersmann

2018-2019

Connaissance juridique et transformation du droit : les effets pratiques des doctrines et la question des « disciplines faibles ». L’exemple du constitutionnalisme, de la globalisation juridique et de l’intégration européenne

Otto Pfersmann (LIER-FYT)

Présentation :

Alors que les sciences sociales se rapprochent de différentes manières et à différents degrés d’une démarche scientifique, les disciplines juridiques sont restées externes et probablement réfractaires à ce mouvement. 

L’objet de ce séminaire est la reconstruction de l’évolution et du maintien d’une discipline faible. Si la capacité explicative et les méthodes relèvent plutôt des arts oratoires que d’un raisonnement ordonné, la prétention de fournir des connaissances pertinentes,  inattendues et même déterminantes est constitutive d’un paradoxe fondateur. 

Le séminaire est consacré au problème de la valeur explicative des théories du droit et des analyses doctrinales portant sur des questions juridiques particulières dans le domaine du droit constitutionnel comparé – c’est-à-dire des données structurant les systèmes juridiques dans leur ensemble. 

Tant les théories de la connaissance juridique que les doctrines juridiques proprement dites (les théories à l’aide desquelles les juristes cherchent à expliquer leurs objets) présentent un degré très élevé de diversité dans le temps comme à l’intérieur du champ disciplinaire contemporain. En dépit d’une technicité très évoluée et souvent hermétique, la prétention à l’objectivité du savoir qu’elles affirment pouvoir offrir paraît faible sinon arbitraire. Il s’en dégage souvent l’impression qu’elles disent plus sur les appréciations subjectives de leur auteur que sur l’objet dont elles traitent.

Le séminaire vise à reconstruire les données fondatrices de ces théories dans une perspective systématique et historique. Il apparaît en effet que certaines thèses récurrentes dans le débat contemporain (la question des « lacunes », le pouvoir « créateur » des juges, la nécessité de « surmonter le formalisme », de trancher des « cas difficiles », de « faire avancer les choses » etc.) plongent leurs racines dans des conceptions anciennes, régulièrement réadaptées et exerçant toujours un grand pouvoir d’attraction. Les théories contemporaines se situent quant à elles dans le sillage de théories philosophiques souvent insuffisamment contextualisées. 

La présentation de ces théories dans leur environnement philosophique sera illustrée par des exemples concrets de traitement de questions doctrinales, principalement à travers la présentation de cas jurisprudentiels décidés sous des cadres constitutionnels différents. Cet exercice permettra de faire apparaître tant les origines des concepts et des méthodes utilisés que les effets des solutions proposées dans les différents ordres juridiques en question. La faiblesse de la discipline lui permet paradoxalement de modeler son objet.

Une attention particulière sera consacrée à trois domaines exemplaires. Le constitutionnalisme accompagne la restructuration des ordres juridiques à partir et autour de la formalisation de la constitution et de l’introduction d’un contrôle de constitutionnalité, de droits fondamentaux et de principes d’ajustement comme celui de proportionnalité ou de confiance légitime. L’intégration européenne concurrence ce développement qu’elle cherche à intégrer indirectement faute de disposer des structures centralisantes d’un État. La doctrine européiste a déployé des trésors d’imagination en vue d’accommoder simultanément ces deux exigences : un dispositif institutionnel relativement faible avec un organe juridictionnel très puissant et promouvant les valeurs du constitutionnalisme à travers l’affirmation de principes. La globalisation juridique enfin constitue un mouvement doctrinal cherchant à montrer et en même temps à encourager de nouvelles structures juridiques ou du moins le déclin d’un prétendu étatisme. La confrontation de ces conceptions permettra de voir le travail idéologique à l’œuvre et de mesurer l’écart entre les constructions d’un droit désiré ou rejeté et les données objectives toujours difficiles à interpréter avec exactitude.

Lus et relus. Exercises de réflexion inter-temporelle

Otto Pfersmann (LIER-FYT)
Paolo Napoli (LIER-FYT)
Michele Spanò (LIER-FYT)
Emanuele Conte (LIER-FYT)

Présentation :

Le séminaire institutionnel du CENJ « Yan Thomas » continuera cette année selon la formule experimentée l'année dernière. Il s'agit d'un atelier de lecture de textes, plus ou moins classiques, qui sont particulièrement significatifs pour comprendre le rapport entre le droit et les sciences humaines et sociales. Pour chaque texte se confrontent deux lecteurs ou lectrices dont un-e connaît déjà l'ouvrage pour l'avoir lu dans le passé alors que l'autre le découvrirait pour la première fois. Il y aurait ainsi l'intersection entre une relecture et une lecture dont il pourrait être intéressant de mesurer les écarts selon les registres de l'actualité, de l'actualisation ou, éventuellement, d'une relégation définitive aux archives (historiques et conceptuels). Le couple de lecteurs ou lectrices serait caractérisé par une différence d'âge du fait que revenir sur un texte suppose normalement une expérience plus longue que celle du ou de la néophyte. Mais il n'est pas exclu en principe que le ou la plus jeun-e puissent se pencher une deuxième fois sur un livre que le ou la plus âgé-e ignorent. La formule vise aussi à un échange plus étroit entre chercheurs et doctorants dans un esprit de sollicitation mutuelle et non hiérarchisée.

Réalisme et anti-réalisme axiologique et déontique

Otto Pfersmann (LIER-FYT)
Frédéric Nef (Institut Jean Nicod)

Présentation :

Deux oppositions dominent la discussion sur les connexions entre normes et valeurs: entre réalisme et anti-réalisme et entre fusion ou séparation des normes et des valeurs. Le séminaire consistera d'une part à examiner ces deux oppositions, à évaluer les positions qui peuvent en découler et d'autre part à scruter la possibilité d'une relation implicative entre ces positions – nommément il s'agira d'analyser l'implication entre position anti-réaliste et fusion des normes et valeurs (et à l'inverse le lien d'implication entre réalisme et séparation des normes et valeurs). L'originalité de ce séminaire est que ses deux animateurs défendent des positions radicalement différentes; ce séminaire sera donc dialectique et non dogmatique.

2019-2020

Connaissance juridique et transformation du droit : les effets pratiques des doctrines et la question des « disciplines faibles ». Émergence et développements de « l´État de droit »

Otto Pfersmann (LIER-FYT)

Présentation :

Le concept de l’État de droit est une des expressions juridiques les plus utilisées, mais aussi l’une des plus mystérieuses. Ce séminaire vise à identifier ses origines conceptuelles et à proposer une théorie de son utilisation. 

Invoqué dans les contextes les plus divers, sa nature et sa fonction demeurent intuitifs, inexpliqués et confondus avec d’autres éléments comme la démocratie, les droits fondamentaux ou la « séparation des pouvoirs ». Introduite et développée dans la doctrine allemande du XIXe siècle, l’expression apparaît tardivement dans certains textes constitutionnels et internationaux (art. 2 TUE), comme dans l’article 28 et 23 de la Loi fondamentale allemande (en tant que les Länder sont obligés de « respecter les principes d’un État de droit républicain, démocratique et social au sens de cette Loi fondamentale », de même que l’Allemagne participe au développement de l’Union Européenne « qui est obligée par rapport aux principes … de l’État de droit » ou de la Constitution polonaise (art. 2 et 51, al. 2), mais ce qu’il convient d’entendre par cette expression ou d’en spécifier les éléments constitutifs n’est indiqué nulle part. En revanche, les juridictions suprêmes de certains autres ordres juridiques considèrent que ceux-ci répondent pleinement aux exigences de l’État de droit et font application de ce principe, alors qu’aucun texte n’en fait explicitement mention. 

Il s’agira par conséquent d’abord de reconstruire l'émergence de l’expression dans les débats juridiques et philosophiques de l’époque de sa formation, de restituer les débats et les critiques que ces conceptions ont rencontrées. Une modification essentielle intervient à partir des critiques et redéfinitions opérées par les théories normativistes à partir des années vingt du siècle précédent. Il s’agira ensuite de confronter ces vues avec celles qui se sont développées après la Seconde Guerre mondiale et le développement généralisé d’une protection juridictionnelle des droits fondamentaux, en particulier en matière processuelle. 

D’un point de vue philosophique et théorique, l’une des questions principales concerne le point de savoir dans quelle mesure le droit pourrait avoir une valeur qui lui serait propre, et indépendante de son éventuel contenu et s’il est concevable que le droit puisse s’évaluer lui-même. Il conviendra ensuite de préciser l’opposition entre un État de droit formel et substantiel et développer les raisons plaidant en faveur d’une conception formelle, permettant néanmoins d'établir des comparaisons. 

Trois autres questions seront alors abordées : celle de la nécessaire incomplétude structurelle de l’État de droit et des limitation de ses propres exigences auxquelles procèdent tous les ordres juridiques concrètement existants ; celle de l’application du concept à des ordres juridiques non étatiques, tels que l’Union Européenne ; celle enfin du rapport entre le principe de l’État de droit et d’autres exigences constitutives du constitutionnalisme contemporain telles que la démocratie ou les droits fondamentaux.

Lus et relus. Exercises de réflexion inter-temporelle

Otto Pfersmann (LIER-FYT)
Paolo Napoli (LIER-FYT)
Michele Spanò (LIER-FYT)
Emanuele Conte (LIER-FYT)

Présentation :

Le séminaire continuera cette année selon la formule désormais rodée. Il s'agit d'un atelier de lecture de textes, plus ou moins classiques, qui sont particulièrement significatifs pour comprendre le rapport entre le droit et les sciences humaines et sociales. Pour chaque texte se confrontent deux lecteurs ou lectrices dont un(e) connaît déjà l'ouvrage pour l'avoir lu dans le passé alors que l'autre le découvrirait pour la première fois. Il y aurait ainsi l'intersection entre une relecture et une lecture dont il pourrait être intéressant de mesurer les écarts selon les registres de l'actualité, de l'actualisation ou, éventuellement, d'une relégation définitive aux archives (historiques et conceptuels). Le couple de lecteurs ou lectrices serait caractérisé par une différence d'âge du fait que revenir sur un texte suppose normalement une expérience plus longue que celle du ou de la néophyte. Mais il n'est pas exclu en principe que le ou la plus jeun(e) puissent se pencher une deuxième fois sur un livre que le ou la plus âgé(e) ignorent. La formule vise aussi à un échange plus étroit entre chercheurs et doctorants dans un esprit de sollicitation mutuelle et non hiérarchisée. L’auditoire est évidemment le tiers appelé à compléter cette opération.

Réalisme et anti-réalisme axiologique et déontique

Otto Pfersmann (LIER-FYT)
Frédéric Nef (Institut Jean Nicod)

Présentation :

Dans le prolongement des séminaires des deux dernières années, on approfondira l'étude des interactions complexes entre pensée brentanienne et normativisme, déontique et axiologique. On s'attachera à commenter en particulier Brentano,  Meinong, von Wright, Kelsen. Une attention soutenue sera portée à la logique déontique et à la logique des normes. La question de la dépendance comme de la réductibilité des normes aux valeurs ou des valeurs aux normes constituera le fil conducteur.

Deux oppositions dominent la discussion sur les connexions entre normes et valeurs: entre réalisme et anti-réalisme et entre fusion ou séparation des normes et des valeurs. Le séminaire consistera d'une part à examiner ces deux oppositions, à évaluer les positions qui peuvent en découler et d'autre part à scruter la possibilité d'une relation implicative entre ces positions – nommément il s'agira d'analyser l'implication entre position anti-réaliste et fusion des normes et valeurs (et à l'inverse le lien d'implication entre réalisme et séparation des normes et valeurs). L'originalité de ce séminaire est que ses deux animateurs défendent des positions radicalement différentes; ce séminaire sera donc dialectique et non dogmatique.

2020-2021

Connaissance juridique et transformation du droit : les effets pratiques des doctrines et la question des « disciplines faibles ». « État de droit », exceptions, urgences

Otto Pfersmann (LIER-FYT)

Compte rendu :

Le séminaire sur l’État de droit avait pour objet une clarification du concept en question, sa mise en perspective historique, sa configuration structurelle et les aspects paradoxaux de l’enrichissement des règles qui le concrétisent. La riche littérature juridique et philosophique sous-estime ces aspects et propose en général une vision uniquement optimiste qu’une étude plus approfondie exige de nuancer. Sur le plan de l’organisation, plusieurs séances ont pu bénéficier de l’apport d’un professeur invité (Giovanni Tuzet de l’Université de Milan Bocconi) et aussi des débats avec les participants du séminaire sur normes et valeurs animé par Pascal Engel.

a) Il s’agissait d’abord d´élaborer les difficultés conceptuelles liées à l’identification de ce qui devrait être analysé sous ce titre. Plusieurs traditions se réclament de cette expression ou du fait d’utiliser une expression équivalente. Cette question est devenue d’autant plus actuelle – et difficile – que le terme est également utilisé dans des textes légaux comme le Traité de l’Union Européenne, mais aussi dans certaines constitutions nationales, alors que l’Union Européenne conteste que certains États utilisant de telles dispositions agissent selon les exigences que le concept requiert.

Cette difficulté est liée à une autre, de nature théorique puisque le concept d’État ne dit rien, dans le contexte pertinent, celui du droit, qui serait spécifiquement différent du droit en tant que l’État n’est ici, en quelque acception qu’on l’entende, soit un système juridique particulier, soit un sous-système telle une collectivité territoriale. Le concept d’État de droit semble dès lors vide, ou ne renvoyant qu’à la question de la nature de l’ordre juridique habituellement appelé « État » ; mais ce problème semble assez éloigné des intuitions qu’évoque la référence à « l’État de droit ». En outre, même des entités qui ne sont pas des États, mais des organisations internationales se considèrent comme régies par le principe de l’État de droit et l’imposent à leur tour à leurs adhérents.

b) Il fallait dès lors construire un méta-concept susceptible d’identifier autant les théories que les structures répondant à la substance intuitive de ce qu’évoque l’expression État de droit. Le problème est alors triple. D’un côté, ces théories se réfèrent à des dispositifs juridiques à leur tour multiples et parfois controversés et en exigent l’application : les droits humains, la séparation des pouvoirs, le contrôle de constitutionnalité et de légalité, la démocratie etc. Ces éléments constituent pourtant des données pouvant et devant être théorisés à titre propre, et leur institution comme leur respect fait d’ailleurs l’objet de dispositions juridiques spécifiques, leur analyse de recherches doctrinales distinctes. En deuxième lieu, il semble s’agir d’éléments substantiels, alors que bien des conceptions de l’État de droit soutiennent une vision strictement formelle ou structurale. En troisième lieu, il existe des traditions qui se considèrent comme très différentes, mais qui se trouvent assimilées dans les débats actuels, celle du Rechtsstaat – qui se traduit littéralement par, mais pourrait être tout autre chose que l’État de droit – qui se conçoit principalement à partir d’une vision de ce que devraient être l’État, et celle de la Rule of Law qui se définit surtout à partir d’une application de la règle (de droit) par un juge.

Cette hétérogénéité exige un choix et une réduction permettant de retenir certains des éléments les plus significatifs et non couverts par d’autres théories suffisamment développées de manière indépendante. Il apparaît ainsi qu’au-delà des différents points de départ, les conceptions pertinentes partagent une préoccupation relative à la faiblesse des règles, en d’autres termes au fait que les règles existantes peuvent non seulement et par hypothèse être violées ou simplement négligées, mais que le problème de toute régulation consiste dans le caractère contingent de son application. Les théories que l’on peut globalement assimiler à l’État de droit sont celles qui cherchent à renforcer et stabiliser les règles autrement abandonnées à leur contingence.

À partir de ce méta-concept minimal, on peut comprendre le caractère tardif et toujours très hétérogène des dispositifs par lesquels des règles de comportement sont assorties d’autres règles dont l’application est conditionnée par la violation de celles dont la première règle vise la réalisation. Ces constructions sont souvent cachées, parce que la technique d’édiction des règles ne formalise que la seconde règle, de sorte que la première n’est souvent même pas rendue explicite.

c) À cette étape, il fallait s’interroger sur la place de la sanction dans une conception de l’État de droit et sur les raisons des résistances croissantes contre les théories intégrant cette dimension dans les éléments constitutifs des systèmes juridiques, en opposition aux systèmes de moralité dont la particularité consiste entre autres dans l’absence de mécanismes de sanction. Les théories qui s’inspirent des travaux de H.L.A Hart ont fait valoir que la technicité ouverte des systèmes juridiques permet surtout d’enrichir les modes d’action coordonnées, plutôt que de punir ceux qui ne se soumettraient aux règles primaires. De cette discussion, on pourra retenir que l’on peut globalement envisager les règles de second ordre de deux manières très différentes : soit comme règles visant la production d’autres règles, soit comme des règles visant à assurer par des dispositifs additionnels l’obéissance à des exigences constituant l’objectif de règles de premier ordre, explicites ou à extraire de celles-ci.

La deuxième étape dans le renforcement des règles par des règles de second ordres – au sens de règles visant à renforcer l’obéissance aux premières règles consiste ainsi en fait dans des règles de sanction, qui posent à leur tour le problème de leur application et qui exigent une réglementation processuelle de plus en plus complexe.

Cette extension constante du domaine de la normativité juridique, qui ne peut fonctionner que si elle chaque règle de conduite est assortie d’autres règles susceptibles d’en favoriser une application régulière, entraîne d’autres étapes qui se combinent tant temporellement que structuralement et que le séminaire a permis de discuter en détail.

La substitution procédurale consiste dans le remplacement de conflits réels par des procédures qui les transforment en des jalons à la fois pragmatiques et abstraits. Soustraits à la violence, les conflits deviennent l’objet de règles conceptuellement ordonnées, permettant de substituer des argumentations aux actes de violence.

La détermination des obligations permet de restreindre les obligations pesant sur les destinataires, Ici, on pourra observer une nouvelle poussée réglementaire, car il s’agit d’une obligation du législateur ou du pouvoir réglementaire qui exige à la fois des mécanismes de second ordre et des efforts d’interprétation comme des procédures de contrôle. On pourra qualifier d’État de droit des structures juridiques où ces exigences sont non seulement précisées, mais encadrées par des règles de deuxième ordre de plus en plus précises.

d) Il apparaît ainsi qu’il convient de se détacher de conceptions qui ne verraient dans le principe de l’État de droit justement qu’un principe qui se décomposerait en un ensemble de dispositifs plus ou moins indéterminés ; au contraire, la complexification progressive des ordres juridiques comporte des éléments relevant de l’État de droit, mais dont la stabilisation engendre des effets paradoxaux.

En effet, la détermination des règles conduit d’un côté à la limitation de l’arbitraire, mais d’un autre côté à une complexité croissante du système de règles, et par conséquent de difficultés de leur connaissance et de conflits des interprétations qui peut produire une forte insécurité que l’enrichissement des règles visait justement à réduire.

Enfin, l’introduction de procédures de contrôle de la régularité de l’application des règles et ainsi de la régularité de l’application des règles de contrôle (et ainsi de suite) conduit à une limite qui peut être déplacée, mais non surmontée : il existe par nécessité une clôture des contrôles qui peuvent par conséquent constituer des violations de règles qu’il sera impossible de réduire.

Mais cette limite se montre également dans un autre aspect de l’État de droit développé : il est toujours spécifiquement sélectif, au sens où l’accès, comme le domaine des contrôles, est distribué en fonction de choix qui confèrent une priorité à certains éléments (par exemple l’accès individuel au contrôle de constitutionnalité) au détriment de certains autres (les cas effectivement traités seront en nombre restreint, car les décisions juridictionnelles sur des questions de principe exigent des formations de jugement elles-mêmes restreintes et jugeant un nombre quantitativement très réduit d’affaires auxquelles est ainsi conféré un statut d’importance structurant à son tour d’autres applications dans le système).

Problèmes d'ontologie sociale

Otto Pfersmann (LIER-FYT)
Frédéric Nef (Institut Jean Nicod)

Compte rendu :

Le séminaire sur les ontologies sociales était consacré aux théories visant à expliquer la nature, l’existence et le fonctionnement d’entités collectives pour lesquelles des normes et valeurs constituent des références d’attitudes et de comportements.

La discussion a porté sur la divergence entre les conceptions empiriques et normatives – entendues au sens, non pas de théories normatives, mais d’explication de la présence de normes et de valeurs parmi les références de comportements et d’actions collectives. Les textes de fondateurs de la sociologie font apparaître les difficultés lorsqu’il s’agit de parler de « l’État » ou de « règles » dans une conception rigoureusement causale.

Des difficultés comparables apparaissent chez les théoriciens du droit qui cherchent à montrer que le « droit » ne constituerait qu’une donnée contingente. À cet égard, les études de Eugen Ehrlich, fondateur de la sociologie du droit dans une perspective romaniste visant à montrer que la coutume naît en dehors et surtout contre toute réglementation étatique ou plus récemment de Robert C. Ellickson, Order Without Law : How Neighbors Settle Disputes (1991, Harvard University Press) analysant le règlement de litige de voisinage et de responsabilité dans plusieurs communes d’agriculteurs américains étaient particulièrement significatives, mais aussi la place du droit dans la reconstruction de l’univers carcéral chez Foucault et celle de l’État dans une conception strictement sociologique dans les derniers cours de Pierre Bourdieu.

2021-2022

Les conflits des libertés

Otto Pfersmann (LIER-FYT)

Compte rendu :

Le séminaire sur les Conflits des libertés se proposait de faire le point sur les théories actuelles relatives aux droits fondamentaux. Elles partent pour la plupart de l’idée que les libertés s’ajoutent les unes aux autres et que leurs éventuelles limitations repose sur des clauses spécifiques ou sur des principes comme le principe de proportionnalité ou enfin sur d’autres normes constitutionnelles ou conventionnelles ayant de telles restrictions pour objets. Le séminaire a mis ces théories à l’épreuve et a en particulier montré que la plupart des limitations relèvent de conflits avec d’autres libertés de sorte que celles-ci ne peuvent être simultanément satisfaites. De telles situations de conflits exigent des instruments spécifiques d’analyse qui se complexifient dans la mesure où les normes relatives aux libertés se multiplient dans et entre les systèmes juridiques. On peut ainsi observer la croissance constante des textes relatifs à ces questions, des quelques dispositions de la Déclaration des droits de l´homme et du citoyen de 1789 aux catalogues adoptés dans les constitutions du vingtième siècle et enfin dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

Il a ensuite été procédé à l’analyse de cas concrets de conflits, en particulier autour du problème de la protection de la vie privée par opposition à la liberté d’expression. La comparaison entre les systèmes européens et américain a été particulièrement instructive en faisant apparaître un ensemble d’arguments ad hoc visant soit à élargir, soit à rétrécir le domaine d’application de certains droits bien au-delà de ce que l’interprétation la plus charitable de leur formulation semble permettre.

Le séminaire s’est alors conclu sur l’observation que la multiplication des libertés et l’élargissement des catalogues aboutissait à un domaine plus restreint de permissions d’agir et que la complexité de l’interprétation des dispositions pertinentes limitait par ailleurs progressivement la sécurité juridique que ces droits exigent.

Théories de la Constitution

Otto Pfersmann (LIER-FYT)

Compte rendu :

La constitution est considérée comme l’ensemble suprême de normes dans un ordre juridique donné. Ni le concept précis d’un tel ensemble, ni sa structure, ni sa substance ne font pourtant guère consensus, en dépit d’une importance toujours croissante en raison d’une application juridictionnelle concrète dans la plupart des démocraties contemporaines. À cela s’ajoute sa place de moins en moins assurée dans un contexte international contribuant à la priver de sa fonction suprême sans pourtant lui assurer un nouveau lieu clairement identifiable.

Ces évolutions ont fait naître des théories et débats qu’il s’agissait de restituer d’un point vue historique et systématique.

En premier lieu, il convenait de reconstruire le contexte et les raisons expliquant l’émergence d’une théorie de la constitution plutôt que la discussion de la spécificité du droit constitutionnel dans le cadre d’une théorie du droit. Bien des écrits avaient pourtant déjà traité ces questions tant d’un point de vue politique que proprement juridique. Le débat naît avec la Constitution de Weimar et la difficile acceptation d’un cadre démocratique et républicain en Allemagne après la première guerre mondiale et se poursuit en dépit du changement de contexte jusqu’à nos jours. Une place proéminente et particulièrement revient aux écrits de Carl Schmitt qui innove en intitulant son précis de droit constitutionnel général « Théorie de la Constitution » (Verfassungslehre) et non simplement droit constitutionnel général. Son but consiste justement à faire de la Constitution quelque chose de plus et de différent d’un simple ensemble de normes juridiques d’un rang plus élevé et d’identifier dans le texte écrit plusieurs éléments qu’il cherche à dissocier. À l’opposé d’une telle conception on trouve l’École de Vienne qui cherche au contraire à montrer que la différence entre la « constitution » et les autres données du système juridique consiste uniquement dans leur statut hiérarchique est dans les conséquences qui en découlent. Beaucoup d’autres auteurs ont également participé à cette discussion en répondant à ces thèses et il convenait d’en présenter et de discuter les thèses essentielles de Hermann Heller ou Rudolf Smend, mais également des auteurs italiens et français comme Santi Romano, Costantino Mortati ou Carré de Malberg. C’est également dans ce contexte que se développe l’idée d’une « constitution au sens matériel » qui ne serait pas formellement juridique, mais une expression du système des forces du pouvoir.

Une autre partie du séminaire devait alors aborder la question du « pouvoir constituant » qui est souvent invoqué comme donnée hybride à la fois factuelle et pourtant juridique. Le débat autour de cette question demeure particulièrement important en Israël et aux États-Unis.

Ces conceptions et leurs survivances ont été développées et ont fait l’objet d’une discussion critique.

2022-2023

Introduire le pacifisme constitutionnel

Otto Pfersmann (LIER-FYT)

Présentation :

La fin de la deuxième guerre mondiale amène plusieurs pays à affirmer des positions favorables à la paix et plus encore à un régime international susceptible de la garantir sur le long terme et ils le font avec les moyens de leur droit interne. Parfois pourtant, de telles positions ne paraissent pas toujours entièrement libres ou spontanées et semblent au moins en partie dictées par une volonté de réinsertion dans la communauté internationale et surtout dans celle des vainqueurs.

En même temps et pour être crédibles, il s’agissait de démontrer une vision fiable et durable. Mais en vue de prouver une telle volonté, il fallait qu’elle se montre également comme entièrement autonome et en accord avec des conceptions plus profondément ancrées dans la conscience collective.

L’intégration de l’engagement pour la paix dans la constitution interne est une nouveauté dans le paysage juridique et politique de l’après-guerre. Certaines constitutions établies après la première guerre mondiale avaient incorporé les règles du droit international dans le droit national comme gage d’une attitude conforme aux attentes de la communauté internationale.

L’engagement spécifique et interne pour la paix constitue une nouvelle étape. Il ne s’agit plus simplement de traités internationaux comme le pacte Brian-Kellog de 1928, mais d’actes internes ayant une signification internationale. On pense souvent à la manière dont les constitutions d’après-guerre s’enrichissent de droits fondamentaux et d’instruments de justice constitutionnelle marquant un évident désir de normalisation et de moralisation pacifique.

Au moins cinq pays ayant subi la guerre et des expériences dictatoriales et agressives vont faire un pas de plus, parfois en plusieurs étapes et marquer un engagement spécifique et spécifiquement interne pour la paix : le Japon, la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche.

Mais les contextes changent et le sens et le statut de ces engagements ne cesse de poser de délicats problèmes souvent irrésolus. Le présent séminaire invite à une analyse et à une discussion de ces développements que les événements récents font apparaître sous un nouveau jour.

Les grandes controverses du droit constitutionnel contemporain

Otto Pfersmann (LIER-FYT)
Olivier Cayla (CESPRA)

Présentation :

Avec l’émergence du constitutionnalisme moderne à la fin du XVIIIe siècle en Occident, la question de savoir si les actes des gouvernants sont ou non « constitutionnels » est apparue comme étant cruciale, car elle se comprenait comme étant une qualification juridique conditionnant l’obéissance des gouvernés ou leur désobéissance légitime. Cette question fondamentalement politique et juridique a ainsi alimenté des controverses doctrinales fameuses, de forme apparemment juridique, mais qui, du point de vue de certains théoriciens, restaient difficiles à trancher tant qu’elles demeuraient de simples « opinions » de professeurs de droit.

Avec la consécration, à l’époque contemporaine, de droits et principes fondamentaux formulés par des textes – constitutionnels ou de traités internationaux – spécifiques, que des juridictions nouvelles et spécialisées ont pour mission d’interpréter afin d’imposer aux gouvernants (notamment au législateur) l’obligation d’y conformer leurs actes, on avait pu espérer qu’il s’établisse une doctrine consolidée permettant une connaissance de plus en plus précise et structurée des données en cause. Or il se produit exactement le contraire : les controverses ne font que redoubler et gagner en complexité entre ceux qui cherchent à analyser, comprendre, restituer et systématiser les données du droit positif. Il devient aussi difficile de s’orienter dans les méandres des ordres juridiques que de se forger une opinion fondée et convaincante.

Animé par les deux juristes constitutionnalistes que compte l’EHESS et qui adoptent justement, sur ces questions, des vues controversées, ce séminaire développera l’ensemble de ces dimensions du débat contemporain et portera autant sur les questions relatives à la nature du système juridique que sur celle de la signification concrète des textes fondateurs et leur actualisation jurisprudentielle. Afin de mieux saisir ces enjeux, la discussion s’articulera autour de cas concrets décidés par des juridictions françaises, supranationales et étrangères, en particulier américaines, allemandes, italiennes et autrichiennes.