Comptes rendus des séminaires - Michele Spanò

2018-2019

La matérialité du droit. Enquêtes et hypothèses sur l'institutionnalisme juridique

Michele Spanò (LIER-FYT)

Présentation :

En 1934, avec son essai « Les trois types de pensée juridique », Carl Schmitt nous délivre la carte d’un nouveau territoire juridique : l’institutionnalisme. Le concept fort équivoque d’« ordre concret », qui aura pour pendant juridiquement plus consistant et durable la notion d’« institution », nous servira de base pour une exploration critique de cette galaxie d’auteurs et des théories. À l’aide de la pensée de Santi Romano, Maurice Hauriou, Widar Cesarini Sforza, ainsi que d’autres juristes de l’époque, nous aborderons cette manière si spéciale – à la fois matérielle et immanente – de déduire la juridicité de la norme. Une approche historique, historiographique et théorique de l’institutionnalisme juridique nous permettra d’aborder des questions diverses telles que le critère de distinction entre droit public et droit privé, la possibilité de concevoir des collectifs non étatiques et non personnalisés, le pouvoir instituant du droit privé dans ses rapports à la politique, le pluralisme des systèmes juridiques et normatifs, la critique de la représentation moderne et du dispositif du droit subjectif, les façons différentes et variées par lesquelles la coopération sociale se dote de ses propres formes d’organisation, de reproduction et de transformation.

Communs : droit, histoire et historiographies. 2

Michele Spanò (LIER-FYT)
Alice Ingold (CRH)

Présentation :

Les communs font l'objet de programmes de recherche de plus en plus nombreux, menés à partir d’ancrages disciplinaires les plus divers. L’étude des communs se nourrit, et alimente en même temps, des traditions historiographies multiples : des « humanités classiques » à l’« humanité sauvage » des mondes post-coloniaux, du communisme primitif de Morgan aux débats sur les dynamiques d’enclosure ou d’ouverture dans les régulations d’accès aux communs de la connaissance. La focale privilégiée par le séminaire sera historique et juridique. Le rôle de l’histoire est à la fois central et ambigu dans l’étude des communs. Les travaux sur les communs, quelles que soient les disciplines au travers desquelles ils sont abordés (droit, anthropologie, études politiques, géographie, sociologie…), comprennent fréquemment – comme un passage obligé – une approche historique. Cet usage de l’histoire pose un certain nombre de questions. Quelle continuité peut-on tracer entre des biens communs qualifiés d’« historiques » et intéressant des « communautés » de taille modeste – et les « nouveaux communs », notamment ceux de l’information et de la connaissance, ou encore les « communs globaux » comme l’air ou la biodiversité ? Tenter d’élaborer un cadre théorique pour ces différentes lignes de recherche — sur les communs historiques, les nouveaux communs et les communs globaux –, c’est éviter une naturalisation des communs et prendre la mesure de leur caractère institué. Des débats portent sur la pertinence de références historiques, comme celles d’« enclosure ». Des figures fédératrices différentes se dessinent dans l’étude des communs, d’Elinor Ostrom à Carol M. Rose, qui interrogent les dynamiques – historiques aussi – entre public et commun et posent de façon renouvelée la question de l’« accès » et de la catégorie du « public ».

Nous nous intéresserons notamment à l'analyse de la triangulation entre ressources au sens large du terme, pratiques des acteurs et attribution de droits, qui nous parait comme la marque spécifique des communs. Notre attention se portera sur la dynamique sociale qui lie une chose, une ressource, une pratique, une expérience ou un événement à l'identification d'un collectif d'acteurs. Nous observerons les montages et les traductions juridiques qui sont à la fois la condition et l'effet de ce nouage. Une approche historique et juridique des communs nous permettra d'isoler et d'analyser des séquences temporelles, dans lesquelles les « collectifs » viennent postérieurement au « commun ». Nous privilégierons tout spécialement : 1) Le rôle du droit privé dans le façonnage institutionnel des communs et 2) Les phénomènes divers d'institution juridique des ressources ou des pratiques.

Le séminaire alternera des séances où nous étudierons une riche littérature qui aborde l'histoire des biens communs et leur statut juridique, en croisant la présentation de recherches en cours et des lectures critiques de la littérature sur le sujet. Et des séances où nous accueillerons chercheur-es et équipes de recherche, qui s'intéressent aux communs à partir de points de vue disciplinaires différents.

Les « infrastructures » juridiques de l’économie : histoires et théories. 2

Michele Spanò (LIER-FYT)
Michela Barbot (CNRS)
Clément Lenoble (CIHAM)

Présentation :

L’histoire économique et la sociologie économique, ainsi que toutes les théories économiques dites non orthodoxes, ont contribué à infléchir une image auto-consistante et parfois naturalisée de l’économie. Toutefois, il nous semble qu’une interrogation historique et théorique de l’arrière-plan juridique du fait économique reste encore à faire. En effet « échange », « circulation », « achat », « vente », « marché », « profit », « intérêt », « bien », « crédit », « prix », etc. sont autant de concepts et de pratiques fabriqués par le droit. Une enquête centrée sur l’histoire et la théorie du droit privé – et donc des contrats, des obligations, de la responsabilité, de la propriété, etc. – nous donnera accès à la fabrique de l’économie. Sur son versant judiciaire et juridictionnel, cette analyse nous conduira en outre dans les arènes où ses acteurs et ses pratiques évoluent, changent, se transforment et s’affrontent. Le droit est à la fois la technique grâce à laquelle le champ économique a pu se structurer et la grammaire qui ne cesse de déterminer ses évolutions majeures. Nous essaierons donc de poser, à travers les contributions de chercheurs et chercheuses de disciplines différentes, les jalons d’une histoire sociale du droit civil.

Lus et relus. Exercises de réflexion inter-temporelle

Paolo Napoli (LIER-FYT)
Michele Spanò (LIER-FYT)
Otto Pfersmann (LIER-FYT)
Emanuele Conte (LIER-FYT)

Présentation :

Le séminaire institutionnel du CENJ « Yan Thomas » continuera cette année selon la formule experimentée l'année dernière. Il s'agit d'un atelier de lecture de textes, plus ou moins classiques, qui sont particulièrement significatifs pour comprendre le rapport entre le droit et les sciences humaines et sociales. Pour chaque texte se confrontent deux lecteurs ou lectrices dont un-e connaît déjà l'ouvrage pour l'avoir lu dans le passé alors que l'autre le découvrirait pour la première fois. Il y aurait ainsi l'intersection entre une relecture et une lecture dont il pourrait être intéressant de mesurer les écarts selon les registres de l'actualité, de l'actualisation ou, éventuellement, d'une relégation définitive aux archives (historiques et conceptuels). Le couple de lecteurs ou lectrices serait caractérisé par une différence d'âge du fait que revenir sur un texte suppose normalement une expérience plus longue que celle du ou de la néophyte. Mais il n'est pas exclu en principe que le ou la plus jeun-e puissent se pencher une deuxième fois sur un livre que le ou la plus âgé-e ignorent. La formule vise aussi à un échange plus étroit entre chercheurs et doctorants dans un esprit de sollicitation mutuelle et non hiérarchisée.

2019-2020

L'antagonisme de la forme. Marx, les marxismes et le droit

Michele Spanò (LIER-FYT)

Présentation :

Le séminaire propose une enquête - nécessairement partielle, incomplète et exploratoire - autour de la « vexata quaestio » : le(s) marxisme(s) et le droit. Nous aborderons les textes marxiens (les articles consacrés à la loi sur le vol de bois de 1842, le Capital, les « Grundrisse ») ainsi que les traditions marxistes qui ont abordé le droit de manière plus au moins explicite. Il s'agira de faire le point sur des thèmes divers tels que le rapport structure-superstructure, la critique du formalisme juridique, la dialectique État-marché, l'abolition de la propriété privée des moyens de production. Dans notre démarche nous consacrerons une attention spéciale au droit privé et à la critique du droit subjectif. Grâce à une lecture de La théorie générale du droit et le marxisme (1924) d'Evgeny Pašukanis, qui sera notre livre de référence, nous nous interrogerons finalement sur la possibilité même d'une compatibilité entre le projet communiste et le savoir juridique.

Les « infrastructures » juridiques de l’économie : histoires et théories. 3

Michele Spanò (LIER-FYT)
Michela Barbot (CNRS)
Clément Lenoble (CIHAM)

Présentation :

L’histoire économique et la sociologie économique, ainsi que toutes les théories économiques dites non orthodoxes, ont contribué à infléchir une image auto-consistante et parfois naturalisée de l’économie. Toutefois, il nous semble qu’une interrogation historique et théorique de l’arrière-plan juridique du fait économique reste encore à faire. En effet « échange », « circulation », « achat », « vente », « marché », « profit », « intérêt », « bien », « crédit », « prix », etc. sont autant de concepts et de pratiques fabriqués par le droit. Une enquête centrée sur l’histoire et la théorie du droit privé – et donc des contrats, des obligations, de la responsabilité, de la propriété, etc. – nous donnera accès à la fabrique de l’économie. Sur son versant judiciaire et juridictionnel, cette analyse nous conduira en outre dans les arènes où ses acteurs et ses pratiques évoluent, changent, se transforment et s’affrontent. Le droit est à la fois la technique grâce à laquelle le champ économique a pu se structurer et la grammaire qui ne cesse de déterminer ses évolutions majeures. Nous essaierons donc de poser, à travers les contributions de chercheurs et chercheuses de disciplines différentes, les jalons d’une histoire sociale du droit civil.

Lus et relus. Exercises de réflexion inter-temporelle

Paolo Napoli (LIER-FYT)
Michele Spanò (LIER-FYT)
Otto Pfersmann (LIER-FYT)
Emanuele Conte (LIER-FYT)

Présentation :

Le séminaire continuera cette année selon la formule désormais rodée. Il s'agit d'un atelier de lecture de textes, plus ou moins classiques, qui sont particulièrement significatifs pour comprendre le rapport entre le droit et les sciences humaines et sociales. Pour chaque texte se confrontent deux lecteurs ou lectrices dont un(e) connaît déjà l'ouvrage pour l'avoir lu dans le passé alors que l'autre le découvrirait pour la première fois. Il y aurait ainsi l'intersection entre une relecture et une lecture dont il pourrait être intéressant de mesurer les écarts selon les registres de l'actualité, de l'actualisation ou, éventuellement, d'une relégation définitive aux archives (historiques et conceptuels). Le couple de lecteurs ou lectrices serait caractérisé par une différence d'âge du fait que revenir sur un texte suppose normalement une expérience plus longue que celle du ou de la néophyte. Mais il n'est pas exclu en principe que le ou la plus jeun(e) puissent se pencher une deuxième fois sur un livre que le ou la plus âgé(e) ignorent. La formule vise aussi à un échange plus étroit entre chercheurs et doctorants dans un esprit de sollicitation mutuelle et non hiérarchisée. L’auditoire est évidemment le tiers appelé à compléter cette opération.

Séminaire du PRI "Terrains du droit"

Michele Spanò (LIER-FYT)
Liora Israël (CMH)

Présentation :

Ce programme de recherche interdisciplinaire (PRI) « Terrains du droit » à pour objet de structurer, au sein de l’EHESS, les échanges interdisciplinaires autour du droit comme savoir, comme pratique et comme discipline. Sans se limiter à la confrontation entre paroles de juristes et de non-juristes sur le droit, et à l’opposition classique entre approche « interne » et approche « externe » du droit, il s’agit de profiter de la spécificité de l’École pour mener à bien un projet intellectuel original, et en grande partie impossible ailleurs, du moins en France. 

Le PRI rassemble des anthropologues, des juristes, des sociologues, des historiens et des philosophes, travaillant sur des aires culturelles diversifiées. Le séminaire reposera avant tout sur des lectures croisées permettant de faire émerger de véritables échanges interdisciplinaires relatifs à l'analyse du droit et de la justice. Il commencera en janvier mais sera précédé par un grand colloque du PRI « Faire avec le droit », organisé les 11 et 12 juin 2020 (les informations pratiques seront indiquées ultérieurement sur cette page). 

2020-2021

Le pouvoir de vouloir. Mésaventures du droit subjectif

Michele Spanò (LIER-FYT)

Compte rendu :

Le séminaire de cette année avait pour titre « Le pouvoir de vouloir. Mésaventures du droit subjectif ». Nous avons consacré les douze séances à une reconstruction de ce « dispositif » juridique apparu en plein XIXe siècle par le soin de la science juridique (surtout allemande). À travers ce prisme il s’agissait de faire l’histoire d’un chapitre de l’institution de la forme politique moderne bourgeoise, axée sur la séparation entre public et privé. Notre but, plus « régional », a été celui de tester – à partir d’un cas très complexe comme celui du droit subjectif – une façon possible de faire l’histoire des « objets juridiques ». Nous avons donc abordé cette généalogie du droit subjectif en essayant de montrer la qualité spécifique des institutions juridiques : celle d’être des idéalités ou des concepts ayant le pouvoir d’agir sur le réel qu’ils décrivent en l’ordonnant. C’est à partir de cette hypothèse matérialiste, à savoir la possibilité de faire une histoire de la production des abstractions ou des formes, que nous nous sommes penchés sur le droit subjectif. Cela a impliqué un travail long de reconstruction des travaux de la science juridique allemande. Afin d’avoir accès à ce véritable laboratoire de la forme juridique moderne nous avons dû écarter certaines fausses pistes. En ce sens, la confrontation avec une généalogie philosophique, qui ne recouvre que partialement l’histoire juridique, s’est révélée cruciale : l’analyse critique de certains travaux de Michel Foucault, Michel Villey et Giorgio Agamben nous a aidés à préciser notre objet. Nous avons donc centré notre enquête sur le travail technique de l’École Historique du droit et spécialement sur la figure de Friedrich Karl von Savigny. La construction du droit subjectif nous a paru obéir à la nécessité logique d’un principium individuationis – dans et par lequel la forme de la juridicité et la forme de l’individualité se superposent – qui aurait permis à la dichotomie droit public-droit privé (politique-économie ; égalité-liberté ; souveraineté-propriété) de se reproduire de manière solidaire et efficace. Une longue discussion sur le concept de « volonté » et ses « pouvoirs » nous a retenus : une fois encore il s’agissait de démêler une histoire « philosophique » de la volonté d’une histoire proprement « juridique ». Cela nous a conduits à une analyse du concept de « capacité juridique » et à y reconnaître le véritable siège d’émergence de la figure du droit subjectif. La capacité de la volonté de produire des effets juridiques ne reviendrait – dans le bric-à-brac de tradition philosophique et d’invention conceptuelle indigène typique de l’École Historique – à rien d’autre qu’à la liberté de contracter. C’est grâce à cet acquis que nous avons pu aborder la « traduction » de ce même échafaudage spéculatif et technique du droit privé – qui est son lieu de naissance théorique – au droit public. Nous nous sommes donc consacrés à une lecture de Karl von Gerber en essayant de souligner la continuité de son œuvre avec celle de Savigny et en même temps sa très complexe postérité. On a pu donc établir que la deuxième moitié du XIXe siècle voit à la fois l’apogée et la crise de cette systématisation classiquement bourgeoise du droit qui a dans le droit subjectif son pivot. C’est dans ce cadre de référence que toute une série de « querelles » commencent à se produire. La constitution matérielle de l’Allemagne ne supporte plus la machinerie formelle produite par les Pandectes : un tournant dans l’institution du rapport social de capital via le droit subjectif se manifeste à cette époque (deux auteurs différents aussi que Laband et Gierke en témoignent). Nous avons donc montré que cette impasse est encore « active » dans la théorie et la pratique du droit (subjectif) qui nous est contemporaine, qui hérite, parfois d’une manière presque inconsciente ou visiblement idéologique, de la systématisation bourgeoise du droit établie par Savigny à la moitié du XIXe siècle. Nous avons donc discuté ces interventions qui dans le champ de la théorie du droit posent des « alternatives » (techniques) aux droits subjectifs. Cela nous a menés finalement à aborder l’hypothèse des droits « trans-subjectifs » ou « trans-individuels », utiles pour résoudre d’apparents culs-de-sac pratiques dans les champs de la responsabilité civile ou du droit de l’environnement.

Le cas et la perplexité. Atelier de casuistique juridique et morale

Paolo Napoli (LIER-FYT)
Michele Spanò (LIER-FYT)
Frédéric Audren (Sciences Po)

Présentation :

La casuistique désigne la résolution judiciaire des différends mais aussi, sur un plan historique plus vaste, toute application concrète du raisonnement au service d’une cause juridique ou morale. Avant d’annoncer un choix de méthode, « faire » de la casuistique juridique signifie ainsi reconnaître au droit son propre terrain empirique, un terrain qui est avant tout institué et délimité par des opérations logiques et argumentatives ayant lieu dans un procès. À l’aune de la notion de perplexité, qui selon Leibniz caractérise l’état d’esprit face à l’incompatibilité entre deux normes dans leur application à une situation donnée, l’atelier se penchera sur des affaires judiciaires de nature différente et relevant d’une chronologie très ample. Les traditions casuistiques relevant du droit juif, canon et islamique feront l'objet d'un certain nombre de séances.

Lus et relus. Exercises de réflexion inter-temporelle

Paolo Napoli (LIER-FYT)
Michele Spanò (LIER-FYT)
Silvia Falconieri (IMAF)

Présentation :

Le séminaire continuera cette année selon la formule désormais rodée. Il s'agit d'un atelier de lecture de textes, plus ou moins classiques, qui sont particulièrement significatifs pour comprendre le rapport entre le droit et les sciences humaines et sociales. Pour chaque texte se confrontent deux lecteurs ou lectrices dont un(e) connaît déjà l'ouvrage pour l'avoir lu dans le passé alors que l'autre le découvrirait pour la première fois. Il y aurait ainsi l'intersection entre une relecture et une lecture dont il pourrait être intéressant de mesurer les écarts selon les registres de l'actualité, de l'actualisation ou, éventuellement, d'une relégation définitive aux archives (historiques et conceptuels). Le couple de lecteurs ou lectrices serait caractérisé par une différence d'âge du fait que revenir sur un texte suppose normalement une expérience plus longue que celle du ou de la néophyte. Mais il n'est pas exclu en principe que le ou la plus jeun(e) puissent se pencher une deuxième fois sur un livre que le ou la plus âgé(e) ignorent. La formule vise aussi à un échange plus étroit entre chercheurs et doctorants dans un esprit de sollicitation mutuelle et non hiérarchisée. L’auditoire est évidemment le tiers appelé à compléter cette opération.

2021-2022

Pour une archéologie juridique de l’accumulation primitive

Michele Spanò (LIER-FYT)

Compte rendu :

Le séminaire de cette année avait pour titre « Pour une archéologie juridique de l’accumulation primitive ». Les auteurs au centre de notre enquête ont été principalement quatre : Karl Marx, Louis Althusser, Michel Foucault et E. P. Thompson. Nous avons débuté le séminaire par une lecture intégrale du chapitre XXIV du Capital de K. Marx dédié à l’accumulation primitive (« Die s. g. ursprüngliche Accumulation »). Notre effort a été celui de faire ressortir la place que le droit y occupe, parfois en dépit de l’intention de l’auteur. Nous avons donc croisé cette ligne de lecture en émettant une hypothèse générale, à savoir que le phénomène décrit par Marx sous l’expression « accumulation primitive de capital » indiquerait la dynamique de juridification des rapports sociaux qui instaure et rend possible le rapport social de capital. Cette relecture nous a donc mené à fournir une révision de la caractérisation du droit qu’on trouve chez Marx lui-même. L’accumulation primitive – à la fois phénomène historique ponctuel et processus logique toujours recommencé – ne serait reconductible à un pur déchaînement de violence à peine formalisée.  Au contraire, fonctionnant comme un « reenactment » du passage hobbesien de l’état de nature à l’état civil et politique, l’accumulation est plutôt le processus d’une retranscription complète des rapports sociaux en termes juridiques. Le droit n’apparait donc ici plus comme un élément secondaire et marginal (l’idylle formel qu’aurait couvert la violence brute de l’accumulation) mais le véritable opérateur de l’accession au capitalisme moderne. C’est surtout le droit privé – avec ses institutions majeures (contrat, propriété, responsabilité civile) – qui occupe le devant de la scène (selon un mouvement spéculatif dont témoignent d’ailleurs beaucoup d’autres lieux de l’œuvre de Marx) à détriment d’un droit pénale ou d’un droit public à nos yeux surévalués par les lectures classiques du phénomène de l’accumulation. Ceux-ci par contre se manifestent plutôt comme des instruments de dernier ressort pour « gouverner » toutes celles et tous ceux qu’on n’arrive pas à intégrer dans cette nouvelle grammaire des rapports sociaux offert par le droit privé de l’échange.

Nous avons essayé de tester cette grille de lecture à travers une approche croisée des certains ouvrages d’auteurs qui se sont eux-mêmes penchés sur le chapitre XXIV héritant à la fois, de façon ambiguë et donc prometteuse, la même difficulté à donner une place au droit dans le cadre de l’accumulation primitive. Nous avons dédié plusieurs séances à la lecture de Louis Althusser (notamment Montesquieu, la politique et l'histoire de 1959), de Michel Foucault (surtout les deux cours donnés au Collège de France « Théorie et institutions pénales » en 1971-72 et « La société punitive » en 1972-1973) et finalement d’E. P Thompson (pour ce qui concerne The Making of the English Working Class de 1963 et Whigs and Hunters: The Origin of the Black Act de 1975). Nous nous sommes efforcés de montrer comment ces auteurs ont été les protagonistes d’un trialogue, parfois très polémique, dont l’enjeu majeur était rien qu’une interprétation des pages marxiennes consacrées à l’accumulation primitive. Dans toutes ces œuvres la question est posée du passage d’une époque précédente à un état de la société définit par des rapports capitalistes : le droit privé, posant une équivalence entre rapports sociaux et rapports juridiques, se dégage comme l’un de vecteur majeur de cette gigantesque transformation. Il a été donc question d’aborder un débat historiographique majeur – concernant au moins la naissance de l’État moderne, le rôle politique et économique de la bourgeoisie, la « naissance » du prolétariat ainsi que le gouvernement des « classes dangereuses » – sous l’angle de l’articulation et du diffèrent poids du droit pénal et du droit privé dans leur rôle d’infrastructures juridiques d’une économie – et d’une société – capitaliste naissante. 

Dans les dernières séances du séminaire nous avons essayé de compléter notre enquête par la prise en compte des approches contemporaines de l’accumulation primitive – études postcoloniales, marxisme critique et féminismes – afin de retracer les discontinuités avec le récit fondateur marxien et la place que ces approches – toutes très marquées par le concept d’« extractivisme » – font au droit.

Le cas et la perplexité. Atelier de casuistique juridique et morale

Michele Spanò (LIER-FYT)
Paolo Napoli (LIER-FYT)
Frédéric Audren (Sciences Po)

Présentation :

La casuistique désigne la résolution judiciaire des différends mais aussi, sur un plan historique plus vaste, toute application concrète du raisonnement au service d’une cause juridique ou morale. Avant d’annoncer un choix de méthode, « faire » de la casuistique juridique signifie ainsi reconnaître au droit son propre terrain empirique, un terrain qui est avant tout institué et délimité par des opérations logiques et argumentatives ayant lieu dans un procès. À l’aune de la notion de perplexité, qui selon Leibniz caractérise l’état d’esprit face à l’incompatibilité entre deux normes dans leur application à une situation donnée, l’atelier se penchera sur des affaires judiciaires de nature différente et relevant d’une chronologie très ample. Les traditions casuistiques relevant du droit juif, canon et islamique feront l'objet d'un certain nombre de séances.

Lus et relus. Exercises de réflexion inter-temporelle

Michele Spanò (LIER-FYT)
Paolo Napoli (LIER-FYT)
Silvia Falconieri (IMAF)

Compte rendu :

Pendant cette année les livres suivants ont été discutés :

- John Rawls, Theory of justice (1971), trad. fr. Théorie de la justice (1987). Lecteur : Amine Benabdallah (Université Paris 1- ISJPS), relecteur : Luc Foisneau (CNRS-CESPRA)

- Loi 25 mars 1919 sur les conventions collectives. Lecteur : Nathan Cazeneuve (LIER-FYT), relecteur : Claude Didry (CNRS-CMH)

- Ronald Dworkin, Law’s Empire (1986), trad. fr. L’empire du droit (1994). Lectrice : Marie Padilla (Université de Bordeaux-CERCCLE), relecteur : Thomas Acar (Université de Bordeaux-CERCCLE).

- Pierre Avril, Les conventions de la Constitution (1997). Lectrice : Camille Delpech (LIER-FYT), relecteur : Denis Baranger (Université Paris 2, Centre Michel Villey)

- Alexandre Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du droit (1981). Lectrice : Sabina Tortorella (Université Paris 1), relecteur : Jean-François Kervégan (Université Paris 1.

- Adolf Reinach, Die apriorischen Grundlagen des bürgerlichen Rechtes (1913), trad. fr. Les fondements a priori du droit civil (2004). Lecteur : Vincenzo Raimondi (Université de technologie de Compiègne), relecteur Michel De Fornel (LIER-FYT).

- Henri Donnedieu de Vabres, Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du droit pénal international (1947). Lisent et relisent : Olivier Beauvallet (Juge à la Cour pénale spéciale de la République Centro-africaine, Pasquale de Sena (Université de Palerme).

Séminaire du PRI « Terrains du droit »

Michele Spanò (LIER-FYT)
Dinah Ribard (CRH-GRIHL)
Juliette Cadiot (CERCEC)
Liora Israël (CMH)

Présentation :

Ce séminaire collectif réunit mensuellement les membres du Programme de Recherche Interdisciplinaire (PRI) « Terrains du droit » de l'EHESS. 

Les premières séances de l'année porteront sur le thème "Faire avec le droit" et aborderont les différentes approches travaillées dans le PRI, dans la perspective d'une publication. Les dernières séances seront ouvertes à de nouveaux thèmes. 

2022-2023

L'autonomie de la volonté. Fondements, contradictions, crises

Michele Spanò (LIER-FYT)

Présentation :

Le séminaire, en lien étroit avec nos recherches consacrées aux droits subjectifs, poursuivra l'enquête sur les fondations théoriques du droit privé. L'autonomie de la volonté est le dogme sur lequel repose la construction du droit privé moderne au XIXe siècle. Dans un dialogue parfois polémique avec la philosophie, les juristes européens du XIXe siècle s'engagent dans un questionnement à la fois dogmatique et politique, idéologique et technique, concernant la source et le fondement du droit, des droits et des obligations. L'autonomie de la volonté en sera la réponse. Une réponse dont l'équivocité et les contradictions internes l'exposent à des critiques récurrentes et à des maquillages continus. Après nous être penché sur les textes et les débats fondateurs qui la concernent, nous prolongerons notre enquête jusqu'à toucher aux débats contemporains qui mettent en cause la toute-puissance de l'autonomie de la volonté et ouvrent à des possibles alternatives, surtout en matière contractuelle.

Le cas et la perpléxité. Atelier de casuistique juridique et morale

Michele Spanò (LIER-FYT)
Paolo Napoli (LIER-FYT)
Frédéric Audren (Sciences Po)

Présentation :

La casuistique désigne la résolution judiciaire des différends mais aussi, sur un plan historique plus vaste, toute application concrète du raisonnement au service d’une cause juridique ou morale. Avant d’annoncer un choix de méthode, « faire » de la casuistique juridique signifie ainsi reconnaître au droit son propre terrain empirique, un terrain qui est avant tout institué et délimité par des opérations logiques et argumentatives ayant lieu dans un procès. À l’aune de la notion de perplexité, qui selon Leibniz caractérise l’état d’esprit face à l’incompatibilité entre deux normes dans leur application à une situation donnée, l’atelier se penchera sur des affaires judiciaires de nature différente et relevant d’une chronologie très ample.

Lus et relus. Exercices de réflexion inter-temporelle

Michele Spanò (LIER-FYT)
Paolo Napoli (LIER-FYT)

Présentation :

Le séminaire continuera cette année selon la formule désormais rodée. Il s'agit d'un atelier de lecture de textes, plus ou moins classiques, qui sont particulièrement significatifs pour comprendre le rapport entre le droit et les sciences humaines et sociales. Pour chaque texte se confrontent deux lecteurs ou lectrices dont un(e) connaît déjà l'ouvrage pour l'avoir lu dans le passé alors que l'autre le découvrirait pour la première fois. Il y aurait ainsi l'intersection entre une relecture et une lecture dont il pourrait être intéressant de mesurer les écarts selon les registres de l'actualité, de l'actualisation ou, éventuellement, d'une relégation définitive aux archives (historiques et conceptuels). Le couple de lecteurs ou lectrices serait caractérisé par une différence d'âge du fait que revenir sur un texte suppose normalement une expérience plus longue que celle du ou de la néophyte. Mais il n'est pas exclu en principe que le ou la plus jeune puisse se pencher une deuxième fois sur un livre que le ou la plus âgé(e) ignore. La formule vise aussi à un échange plus étroit entre chercheurs et doctorants dans un esprit de sollicitation mutuelle et non hiérarchisée. L’auditoire est évidemment le tiers appelé à compléter cette opération.

Terrains du droit

Michele Spanò (LIER-FYT)
Dinah Ribard (CRH-GRIHL)
Juliette Cadiot (CERCEC)
Liora Israël (CMH)
Naveen Kanalu Ramamurthy (CRH)

Présentation :

Ce séminaire collectif réunit mensuellement les membres du Programme de Recherche Interdisciplinaire (PRI) « Terrains du droit » de l'EHESS, il est ouvert aux étudiants et collègues intéressés. Les séances de 4 heures permettent des présentations croisées autour des travaux de trois intervenants, venus de disciplines différentes. Les textes sont disponibles à l'avance sur la plateforme moodle.

Les premières séances de l'année porteront sur le thème « Faire avec le droit » et aborderont les différentes approches travaillées dans le PRI. Les dernières séances seront ouvertes à de nouveaux thèmes, par exemple autour d'une discussion critique de la notion de droit illibéral.