Comptes rendus des séminaires - Édouard Gardella

2018-2019

Enquête collective sur les aspirations à l’autonomie

Édouard Gardella (LIER-FYT)
Cédric Moreau De Bellaing (LIER-FYT)
Pierre Nocérino (LIER-FYT)
Adeline Perrot (CEMS)

Présentation :

L’objectif de ce séminaire, ouvert à une vingtaine d’étudiant-es, est de mener une enquête collective sur les aspirations à l’autonomie dans la société française contemporaine.

L’autonomie, qu’elle soit celle des individus ou celle, collective, des groupements professionnels et des institutions, semble faire figure d’impératif moral et politique. Que l’on considère le monde de l’entreprise, la relation éducative aux enfants, les conditions de vie des personnes dites « vulnérables » ou, à un autre niveau, la relation que certaines professions ou certaines institutions entretiennent avec des intérêts privés ou avec les sommets de l’État, l’autonomie est vécue comme un idéal désirable mais aussi parfois comme une injonction difficile à supporter. Présentée comme déjà réalisée ou, au contraire, comme faussement accomplie et en réalité entravée, cette « autonomie » est l’objet de nombreuses disputes, dans lesquelles les sciences sociales sont souvent elles-mêmes parties prenantes.

Dans ce séminaire, il ne s’agira pas d’évaluer les pratiques des acteurs à partir d’une définition a priori de l’autonomie mais plutôt d’enquêter sur les processus conflictuels qui naissent autour de revendications d’autonomie, de dénonciations d’une entrave mise à l’autonomie, ou encore d’accusations du fait que certaines injonctions à l’autonomie renforceraient en réalité les rapports de domination. C’est donc le lien entre idéal d’autonomie et processus critiques qui sera mis en avant au cours de l’enquête. Et c’est en les considérant sous ce rapport spécifique que l’on reviendra sur les principales approches de l’autonomie individuelle et collective qu’a produites la tradition sociologique.

Le séminaire proposera aux étudiant-es de se répartir en petits groupes, sur trois à quatre terrains empiriques distincts. Ceux-ci seront sélectionnés pour leur complémentarité, tout en veillant à garantir la comparabilité des données. Sur chacun de ces terrains, les étudiant-es seront amené-es à s’essayer conjointement aux méthodes de l’entretien et de l’observation ethnographique. En outre, une perspective historique sera encouragée, afin de saisir des évolutions dans les processus de revendication d’autonomie.

Outre la formation au recueil et à l’analyse des données, les étudiant-es seront invité-es à réfléchir à la restitution de leurs résultats, afin de diffuser leurs travaux envers des publics diversifiés.

La nature précise des terrains sera communiquée à l’occasion de la session de formation intensive d'un jour et demi, par laquelle débutera le séminaire (21 et 22 novembre 2018) et à laquelle il est nécessaire de participer pour pouvoir suivre cet enseignement. Par ailleurs, ce séminaire fermé, placé sous la coordination de Pierre Nocérino, accueillera un maximum de 20 étudiant-esIl est réservé en priorité aux étudiant-es inscrit-es en première année de la formation de Master Sociologie générale.

Enquêtes sur les temporalités

Édouard Gardella (LIER-FYT)
Marc Bessin (IRIS)
Arnaud Fossier (Université de Bourgogne)

Présentation :

Le « temps » a été fortement pris en charge par les sciences physiques, la psychologie et la philosophie, mais il est courant de lire qu’en sciences sociales, le « temps » n’est pas un objet légitime ou qu’il n’a pas donné lieu à des travaux empiriques probants. Ce séminaire part d’une hypothèse intermédiaire : certes, le « temps » est encore aujourd’hui un objet mineur en sciences sociales, si l’on compare avec la place qu’il occupe, par exemple, en physique quantique, en philosophie de l’histoire, en phénoménologie, ou encore en psychologie de la perception et dans les sciences cognitives. Mais il existe de nombreux travaux historiques, sociologiques ou anthropologiques qui font du « temps » un objet d’enquêtes et qui ont montré que le « temps » n’est pas une entité homogène. Du point de vue des sciences sociales, il est donc plus cohérent de parler de « temporalités ».

Le séminaire poursuivra deux objectifs principaux : le premier sera de montrer qu’il existe un ensemble de travaux dans les sciences sociales actuelles qui portent sur les temporalités. Nous solliciterons ainsi des chercheurs en histoire, en sociologie ou en anthropologie, qui viendront présenter leurs travaux, que ce soit sur les rythmes (individuels et collectifs), l’urgence ou l’articulation entre passé, présent et avenir dans différentes sociétés. Le second objectif sera méthodologique, car les temporalités constituent un objet qui peut sembler difficile à appréhender par les outils des sciences sociales (évanescent, a priori, caché « dans les têtes », etc.). Il est en outre difficile de concilier la façon dont les chercheurs inscrivent leur objet « dans le temps » (ce que nous appelons l’histoire) et l’étude des façons dont les acteurs étudiés produisent leur temps (ce que nous pouvons appeler l’historicité). Nous réfléchirons donc avec les chercheurs invités aux diverses manières de faire des temporalités un objet propre aux sciences sociales.

Lectures en sciences sociales sur les temporalités

Édouard Gardella (LIER-FYT)
Marc Bessin (IRIS)

Présentation :

Le temps est au cœur de nombreux enjeux sociaux actuels : la durée et la productivité au travail, la pression de l’urgence exercée par certaines techniques commerciales et managériales, les assignations genrées à la sphère domestique et privée, l’articulation inégale entre travail et loisir, l’incertitude suscitée par la précarisation des conditions de vie, le développement durable et l’écologie, la prévention des risques, les rapports à la mémoire, l’obligation du projet, l’accélération de la modernité, et plus globalement une incitation diffuse à la rentabilisation des existences individuelles dans des mondes sociaux concurrentiels… Le temps est aussi au cœur des réactions individuelles et collectives à ces processus, comme les Slow Movements, les techniques de bien-être individuel, les politiques de protection sociale, les outils de la prospective ou les politiques urbaines dites temporelles. Quels sont alors les outils proposés par les sciences sociales pour analyser ces dynamiques contemporaines ?

Ces enjeux font déjà l’objet de travaux spécialisés, mais ce séminaire de lectures propose de fonctionner comme un espace où s’élaborent des outils conceptuels et méthodologiques pour appréhender spécifiquement leurs dimensions temporelles.

Les années 2016-2017 et 2017-2018 ont été consacrées à un tour d’horizon des travaux classiques de sciences sociales, qui a permis d’aborder plusieurs questions théoriques : les rythmes sociaux, à partir des travaux de l’école durkheimienne (Durkheim, Hubert Mauss) ; les enjeux de la quantification du temps (Sorokin et Merton, Thompson, Rosa) ; l’articulation des horizons temporels, individuels ou collectifs (Halbwachs) et ses transformations historiques (Koselleck, Bourdieu) ; les enjeux de pouvoir manifestés par des inégalités temporelles (Bourdieu, Schwartz), avec un focus fait sur la production des rapports de genre par les rapports temporels (Haicaut, Le Feuvre) ; l’esquisse d’une sociologie des pratiques temporelles, à partir des travaux d’Elias, Zerubavel, Grossin et Flaherty.

Cette année 2018-2019 de ce séminaire se poursuivra en prenant appui sur les travaux classiques vus les années précédentes, ainsi que sur d’autres travaux, pour proposer une sociologie des (dé)synchronisations.

Ce séminaire, annuel, s’adresse à tous les étudiants et chercheurs intéressés par le temps soit comme objet à part entière, soit comme élément ponctuel de leur analyse. Il sera validé par des travaux d’exposés et de fiches de lecture.

2019-2020

Enquêter sur le temps en sciences sociales

Édouard Gardella (LIER-FYT)
Marc Bessin (IRIS)

Présentation :

Que le temps soit un objet des sciences physiques, de la psychologie et de la philosophie paraît naturel. Mais on oublie parfois qu'il est aussi traité par les sciences sociales. Le projet de ce séminaire, qui en est à sa troisième année, est de documenter les diverses formes de temps produites par les groupes et sociétés humains. Il est aussi de clarifier les conceptualisations du temps qui sont produites de façon plus ou moins explicite par les sciences sociales.

Plus précisément, le séminaire poursuivra deux objectifs :

- Le premier sera d’explorer la pluralité des formes de temps produites par les sociétés, modernes ou plus anciennes, ainsi que par les groupes qui les structurent. Nous solliciterons ainsi des chercheurs en histoire, en sociologie ou en anthropologie, ayant travaillé sur la durée du travail, sur la mémoire collective, sur l’urgence, ou encore, entre autres, sur les rapports entre temps et pouvoir.

- Le second objectif sera de réfléchir aux moyens de dénaturaliser le temps au sein des travaux en sciences sociales. Le temps y est en effet souvent naturalisé, et de diverses manières : il est compris comme une réalité relevant principalement de la science physique ou de la psychologie ; il ne fait l’objet d’aucune explicitation, étant mobilisé comme si sa définition allait de soi ; il est conçu comme une entité ayant des effets par elle-même ("l’effet du temps") ; ou encore, il est utilisé comme un décor, coupé de toute pratique (la réalité se déroule "dans le temps").

Nous réfléchirons ainsi avec les chercheurs invités aux voies à emprunter pour enquêter sur le temps et pour le dénaturaliser, conditions pour en faire un objet d’étude propre aux sciences sociales.

2020-2021

Enquêter sur le temps en sciences sociales

Édouard Gardella (LIER-FYT)
Marc Bessin (IRIS)

Compte rendu :

L’objectif de ce séminaire, qui en était à sa troisième année, était de donner un caractère suivi et ancré dans des enquêtes, à une réflexion sur « le temps » en sciences sociales qui souffrait à la fois de dispersion et d’abstraction excessives. L’expression « enquêter sur le temps en sciences sociales » devait se comprendre dans deux sens distincts mais liés. D’une part, enquêter en sciences sociales sur le temps : il s’agissait de voir comment des chercheuses et des chercheurs appréhendent ce que les sociétés, les groupes et leurs membres appellent « le temps », en mobilisant les concepts et les méthodes propres à ces sciences, faisant ainsi du temps un phénomène qui ne soit pas uniquement redevable de formes de connaissance comme la physique, la psychologie ou la philosophie. D’autre part, enquêter sur le temps en sciences sociales : dans une visée plus réflexive, le séminaire lui-même était un support pour enquêter, du moins commencer à observer, sur le temps en sciences sociales, c’est-à-dire de voir comment un tel phénomène est conceptualisé dans ces sciences.

Plus précisément, le séminaire poursuivait deux ambitions :

- La première était d’explorer la pluralité des formes de temps produites par les sociétés, modernes ou plus anciennes, ainsi que par les groupes qui les structurent.

- La seconde était de réfléchir aux moyens de consolider la conceptualisation du temps en sciences sociales, en commençant par sa dénaturalisation. Le temps y est en effet souvent naturalisé, et de diverses manières : il est compris comme une réalité relevant principalement de la science physique ou de la psychologie ; il ne fait l’objet d’aucune explicitation, étant mobilisé comme si sa définition allait de soi ; il est conçu comme une entité ayant des effets par elle-même (« l’effet du temps ») ; ou encore, il est utilisé comme un décor, coupé de toute pratique (la réalité se déroule « dans le temps »).

Après une séance d’introduction aux principes généraux de la sociologie du temps, notamment fondée sur le travail théorique élaboré par Nobert Elias, le séminaire a été l’occasion de discuter de travaux diversifiés sur deux plans principaux. Le premier a été la diversité des objets : ont été abordés « le temps des moines » par Danièle Hervieu-Léger, l’usage du passé dans les politiques de mémoire par Sarah Gensburger, ou encore les normes temporelles dans la prise en charge des personnes désignées comme étant en situation de polyhandicap, par Sabine Delzescaux. Le second a été les perspectives théoriques : ont été présentées des enquêtes assumant une orientation d’inspiration bourdieusienne (par Muriel Darmon, Delphine Dulong et Elsa Favier), ou une orientation inspirée par la sociologie des sciences latourienne (par Yannick Barthe), ou encore par une orientation visant une intégration syncrétique (par Michel Grossetti).

Le concept sociologique d’épreuve. Un voyage dans le temps

Édouard Gardella (LIER-FYT)
Dominique Linhardt (LIER-FYT)
Cédric Moreau de Bellaing (LIER-FYT)

Compte rendu :

Le concept d’épreuve a été introduit dans les sciences sociales au tournant des années 1980 et a été mobilisé par différentes déclinaisons de la sociologie pragmatique. Le séminaire a permis d’aborder son émergence et de le replacer dans l’histoire longue de la connaissance sociologique. Il s’agissait de déterminer comment les types de sociologie portés par la notion d’épreuve ont visé à mieux honorer le raisonnement sociologique, mais aussi de mesurer les limites auxquelles cette intention se heurte.

Le séminaire a été organisé en trois blocs. Les deux premières séances ont remonté au moment de la formulation initiale du concept d’épreuve et l’ont resitué dans la dynamique sociologique propre à cette période. Elles ont établi que la notion doit être comprise en relation et en réponse au succès des approches socio-constructivistes dans les deux décennies précédentes. Le concept d’épreuve a intégré et consolidé les avancées rendues possibles par ces approches, qui tenaient notamment à leur stratégie de « dénaturalisation » de la réalité sociale. Mais dans le même temps, le concept a visé de dépasser une limite du socio-contructivisme : la tendance à considérer que si la réalité sociale est construite, elle est « arbitraire » et ne trouve donc pas trouver dans l’expérience sociale un principe de clôture. En ce sens, le concept d’épreuve implique un « objectivisme de second ordre » : la réalité sociale n’est ni donnée « naturellement » ni arbitraire ; elle change, mais pas n’importe comment.

Les dix séances suivantes ont développé cette perspective générale en considérant cinq « fonctions théoriques » du concept d’épreuve. Le principe de cette démarche était triple. D’abord, distinguer différentes dimensions dans l’usage de la notion d’épreuve qui apparaissent le plus souvent de façon agglomérée. Ensuite, rapporter ces fonctions théoriques à la tradition sociologique, ce qui a permis de montrer que la notion d’épreuve est venue actualiser des exigences déjà présentes dans la démarche sociologique. Enfin, réexaminer l’originalité de la « sociologie des épreuves », celle-ci résidant dans la manière particulière dont elle accomplit les fonctions théoriques constitutives de la pratique sociologique.

Deux séances ont été consacrées à chacune de ces fonctions théoriques : une séance basée sur la lecture de textes visant à donner accès à la fonction théorique considérée et à la manière dont elle a été réinvestie par la sociologie pragmatique ; une séance organisée à partir du travail d’enquête réalisé par un chercheur invité (Marie Alauzen, Fanny Charasse, Carole Gayet-Viaud, Pierre Lagrange, Cyril Lemieux et Gabriel Uribelarrea). Les cinq fonctions distinguées renvoient 1) à l’analyse des interactions (ou plutôt des « actions en retour », selon la terminologie de Cyril Lemieux), 2) à la caractéristique du monde social d’être explicité et rendu réflexif par les acteurs dans le cours des actions qu’ils accomplissent, 3) à l’expression causale des dynamiques sociales en termes de chances et, enfin, à la compréhension de la vie sociale dans son caractère 4) expérimental et 5)conflictuel. Dans la discussion, il est apparu que ces catégories sont insuffisantes, la conceptualité de la notion d’épreuve devant être repensée sur un plan plus fondamental.

La dernière séance a exploré une piste de recherche permettant d’approcher ce plan. Celle-ci suppose de passer d’une compréhension épistémologique de la notion d’épreuve à une compréhension fondée sur une sociologie de la connaissance. Elle consiste donc à rapporter le recours à la notion d’épreuve à des processus travaillant la société elle-même. Ainsi, on ne peut pas ne pas considérer l’apparente affinité entre la notion d’épreuve et la poussée de l’individualisme normatif dans les sociétés occidentales. L’hypothèse qui en découle est que la sociologie des épreuves a accompagné le mouvement par lequel l’expérience individuelle est devenue la butée de l’arbitraire de la réalité sociale. Le risque est que, ce faisant, elle a renoncé au holisme. Or il est probable qu’à la différence des années 1980, ce soit aujourd’hui le holisme qui réclame d’être mieux honoré dans la démarche sociologique. La question qui reste ouverte est de savoir au prix de quelles modifications le concept d’épreuve peut servir cette tâche.

2021-2022

Atelier-séminaire philosophie/sciences sociales

Édouard Gardella (LIER-FYT)
Pierre-Henri Castel (LIER-FYT)
Francesco Callegaro (Université de San Martin, Buenos Aires)

Présentation :

Cet atelier-séminaire vise à relancer le dialogue entre philosophie et sciences sociales, en saisissant leurs rapports dans le vif de la recherche en train de se faire. Il comporte deux moments. Une première rencontre, lors d’un atelier préparatoire sous la responsabilité des doctorants et des doctorants du Lier-FYT, clarifiera des textes et des enjeux conceptuels généraux qui jouent un rôle décisif dans l'articulation entre philosophie et sciences sociales chez une chercheuse ou un chercheur à inviter. Lors d’une seconde rencontre, ayant lieu dans le cadre d’un séminaire ouvert à tous, la personne invitée reviendra sur son travail et répondra aux questions préparées en atelier, ainsi qu’aux interventions de collègues de l’autre discipline mettant en valeur l'usage qu'ils ou elles ont fait, ou pas, de certaines notions et enquêtes, ainsi que les transformations impliquées par le passage d’une discipline à l'autre.

Touchant les premiers contenus à aborder, il nous a semblé judicieux (avec toujours à l’esprit la formation des doctorants) de commencer par un retour aux sources du projet d’articulation philosophie/sciences sociales dans notre unité. Aussi aimerions-nous déjà entendre en priorité ceux qui l’ont initié, Cyril Lemieux et Bruno Karsenti, ainsi que des invités étrangers qui ont pu reprendre et reformuler leurs perspectives, en fonction de contextes épistémologiques et politiques différents de la France.

2022-2023

L'hypothèse de « la solidarité individualiste ». Interdépendance et autonomie dans la production moderne des individus

Édouard Gardella (LIER-FYT)

Présentation :

Ce séminaire prend appui sur une hypothèse élaborée par la sociologie classique : les membres des sociétés modernes aspirent de plus en plus à l’idéal égalitaire et individualiste de l’autonomie-pour-toutes-et-tous, et cette dynamique est déterminée par la façon dont ces sociétés se structurent, à savoir l’accroissement de la différenciation et de l’intégration des groupes sociaux qui les composent.

Une telle hypothèse, que nous proposons de nommer « de la solidarité individualiste », revient à avancer deux idées complémentaires entre elles : l’aspiration à l’autonomie individuelle pour tous les membres d’une société n’est pas universelle parmi les sociétés humaines, elle n’existe au degré d’intensité qu’on lui connaît que dans des sociétés à la structuration relativement différenciée et intégrée ; l’aspiration à l’autonomie individuelle n’est donc pas une propriété intrinsèque à l’individu, elle est le produit de la forme prise par les rapports sociaux. L’idéal égalitaire et individualiste de l’autonomie pour tout le monde n’est donc ni naturel, ni individuel.

L’objectif du séminaire est de mettre cette hypothèse à l’épreuve d’un type de rapport social, observable dans des sociétés fortement différenciées et intégrées (les sociétés dites « modernes »), où elle semble a priori le plus contredite : quand certains individus sont jugés avoir besoin de professionnel.les censé.es travailler à leur autonomie future. Comment comprendre que l’idéal égalitaire de l’autonomie-individuelle-pour-toutes-et-tous puisse être produite par une relation organisée comme une mise en dépendance et, donc, comme fortement asymétrique ?

Pour répondre à cette question, le séminaire commencera par revenir sur plusieurs enquêtes sociologiques que nous avons consacrées ces dernières années à l’étude d’une relation asymétrique particulière, à savoir l’assistance aux sans-abri et ses évolutions depuis le 19e siècle en France.

Il se poursuivra par la discussion de travaux de sciences sociales (sociologie, histoire) portant sur d’autres institutions revendiquant la production d’individus autonomes. Nous aborderons ainsi les analyses portant sur la prise en charge des individus catégorisés comme vulnérables, fragiles ou démunis, et plus particulièrement, les travaux concernant l’assistance aux pauvres, l’aide humanitaire, le traitement des personnes en situation de handicap et la prise en charge de la « souffrance psychique ». Nous poursuivrons par la discussion d’enquêtes portant sur deux institutions longtemps rassemblées sous le concept de « discipline », à savoir l’éducation des enfants (famille, crèches, école, protection de l’enfance) et la prison.

Dans chaque cas, nous évaluerons dans quelle mesure l’hypothèse de la « solidarité individualiste » doit être ajustée, sinon écartée. Chemin faisant, nous serons amené à discuter de divers cadres d’interprétation de ce type de relations sociales asymétriques, comme, entre autres, le modèle disciplinaire construit par Michel Foucault, celui des « institutions totales » élaboré par Erving Goffman ou encore, les travaux inspirés par la philosophie dite du care.