Comptes rendus des séminaires - Cédric Moreau de Bellaing

2018-2019

Lutter contre le terrorisme : les transformations des règles d’engagement et des pratiques professionnelles dans les institutions policières, militaires et judiciaires

Cédric Moreau De Bellaing (LIER-FYT)
Yannick Barthe (LIER-FYT)
Dominique Linhardt (LIER-FYT)
Julie Alix (Université de Lille)
Olivier Cahn (Université de Cergy-Pontoise)
Alexandre Rios-Bordes (Université Paris-Diderot)
Mathias Thura (Université de Strasbourg)

Compte rendu :

Il s’agit d’un séminaire adossé à un financement, par la FMSH, d’une équipe de recherche pluridisciplinaire associant sociologues, politistes, historiens et juristes. Le séminaire est parti du constat de la multiplication du nombre de situations de violence organisée caractérisées aujourd’hui par la difficulté d’identifier de façon univoque les institutions, organisations et groupes engagés dans ces conflits et les actions qu’ils mènent. Cet embarras à définir avec des catégories claires la nature des situations de violence armée contemporaines tient au fait qu’elles rendent en partie inopérante la séparation, profondément inscrite dans la formation des sociétés modernes, entre ce qui relève de la guerre et ce qui relève du crime. Cette indistinction est particulièrement nette lorsqu’on considère les récents attentats commis sur le sol européen ainsi que les formes que prend la lutte contre le terrorisme. Elle s’observe aussi bien dans les projets visant à mobiliser les forces militaires à l’intérieur des frontières nationales que dans le recours à des éliminations ciblées sur des théâtres d’opérations qui ne peuvent être considérés strictement – ni le plus souvent légalement – comme des zones de guerre. Cette indistinction relative et les brouillages qui l’accompagnent (entre action militaire et action policière, entre droit administratif et droit des conflits armés, entre droit pénal et droit international humanitaire) génèrent, au niveau de l’engagement des professionnels qui sont en charge de l’usage étatique de la force, des difficultés et des tensions, dès lors que ceux-ci sont amenés à chercher des modalités pour réélaborer et maintenir la distinction entre guerre et crime. Ce séminaire a alors proposé d’étudier les types de problèmes que cette situation pose aux agents directement impliqués dans ces conflits et de rendre compte de la manière dont les tensions inévitables que ces conflits provoquent amènent les acteurs à modifier les règles d’engagement et à adapter leurs dispositifs d’action. L’hypothèse centrale de travail du séminaire a été que les modifications des règles pratiques d’engagement donnent naissance à des dispositifs d’action au sein desquels le droit est voué à jouer un rôle de plus en plus immédiat et explicite, non pas seulement en définissant un cadre normatif général (lui-même en constante évolution), mais en fournissant des points d’appui dans l’action. Cette judiciarisation croissante de l’engagement violent place alors le droit au cœur du travail (dans la recherche commune comme dans le séminaire) qu’on se propose de réaliser.

Huit séances de trois heures ont été organisées autour de travaux très récents et de leurs auteurs (Fabien Carrié et Laurent Bonelli autour de leur ouvrage La fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes français, paru en 2018 ; Bilel Benbouzid à propos de ses travaux sur la police prédictive ; Antoine Mégie concernant son enquête sur la 16e chambre criminelle en charge d’affaire d’antiterrorisme), ainsi que trois invités étrangers : Michael Dunning, qui a proposé une analyse inédite du terrorisme avec les outils méthodologiques de Norbert Elias ; Denis Duez et Chloé Thomas, qui sont venus présenter leur travail en cours sur l’engagement des forces armées belges dans la lutte antiterroriste sur le territoire belge.

Enquête collective sur les aspirations à l’autonomie

Cédric Moreau De Bellaing (LIER-FYT)
Édouard Gardella (LIER-FYT)
Pierre Nocerino (LIER-FYT)
Adeline Perrot (CEMS)

Présentation :

L’objectif de ce séminaire, ouvert à une vingtaine d’étudiant-es, est de mener une enquête collective sur les aspirations à l’autonomie dans la société française contemporaine.

L’autonomie, qu’elle soit celle des individus ou celle, collective, des groupements professionnels et des institutions, semble faire figure d’impératif moral et politique. Que l’on considère le monde de l’entreprise, la relation éducative aux enfants, les conditions de vie des personnes dites « vulnérables » ou, à un autre niveau, la relation que certaines professions ou certaines institutions entretiennent avec des intérêts privés ou avec les sommets de l’État, l’autonomie est vécue comme un idéal désirable mais aussi parfois comme une injonction difficile à supporter. Présentée comme déjà réalisée ou, au contraire, comme faussement accomplie et en réalité entravée, cette « autonomie » est l’objet de nombreuses disputes, dans lesquelles les sciences sociales sont souvent elles-mêmes parties prenantes.

Dans ce séminaire, il ne s’agira pas d’évaluer les pratiques des acteurs à partir d’une définition a priori de l’autonomie mais plutôt d’enquêter sur les processus conflictuels qui naissent autour de revendications d’autonomie, de dénonciations d’une entrave mise à l’autonomie, ou encore d’accusations du fait que certaines injonctions à l’autonomie renforceraient en réalité les rapports de domination. C’est donc le lien entre idéal d’autonomie et processus critiques qui sera mis en avant au cours de l’enquête. Et c’est en les considérant sous ce rapport spécifique que l’on reviendra sur les principales approches de l’autonomie individuelle et collective qu’a produites la tradition sociologique.

Le séminaire proposera aux étudiant-es de se répartir en petits groupes, sur trois à quatre terrains empiriques distincts. Ceux-ci seront sélectionnés pour leur complémentarité, tout en veillant à garantir la comparabilité des données. Sur chacun de ces terrains, les étudiant-es seront amené-es à s’essayer conjointement aux méthodes de l’entretien et de l’observation ethnographique. En outre, une perspective historique sera encouragée, afin de saisir des évolutions dans les processus de revendication d’autonomie.

Outre la formation au recueil et à l’analyse des données, les étudiant-es seront invité-es à réfléchir à la restitution de leurs résultats, afin de diffuser leurs travaux envers des publics diversifiés.

La nature précise des terrains sera communiquée à l’occasion de la session de formation intensive d'un jour et demi, par laquelle débutera le séminaire (21 et 22 novembre 2018) et à laquelle il est nécessaire de participer pour pouvoir suivre cet enseignement. Par ailleurs, ce séminaire fermé, placé sous la coordination de Pierre Nocérino, accueillera un maximum de 20 étudiant-esIl est réservé en priorité aux étudiant-es inscrit-es en première année de la formation de Master Sociologie générale.

2019-2020

Paradoxes de la modernité. Un dialogue entre sociologues et historiens

Cyril Lemieux (LIER-FYT)
Cédric Moreau de Bellaing (LIER-FYT)
Pablo Blitstein (CRH)
Marion Fontaine (Sciences Po)

Présentation :

Que veut dire être « moderne » ? Conscients que la réponse à cette question n'est pas évidente, des historiens et des sociologues chercheront dans ce séminaire à réinvestir sur de nouvelles bases la question du changement au sein des sociétés qui se pensent et se veulent « modernes », quelle que région du monde où elles se situent. On tentera de cerner les exigences méthodologiques et théoriques d’une telle démarche et de montrer ses implications concrètes sur la façon de mener l’enquête en sociologie comme en histoire. Chaque séance donnera lieu à une mise en dialogue entre des travaux issus des deux disciplines ayant en commun d’aborder, à partir des cas empiriques les plus divers, un aspect déterminé du changement : la transformation des rapports d’autorité, celle du contrôle de la violence, celle du rapport au temps, ou encore, celles des modes d’attribution de la responsabilité, des formes de solidarité, de la gestion des risques, du rapport aux normes écrites, des formes du débat public ou de la hiérarchisation des savoirs. On insistera tout particulièrement sur les paradoxes que ces changements tendent à générer dans les pratiques sociales, en se demandant s’il est possible de repérer, au-delà de la singularité des cas étudiés, des contradictions récurrentes et des analogies processuelles.

2020-2021

Le concept sociologique d’épreuve. Un voyage dans le temps

Cédric Moreau de Bellaing (LIER-FYT)
Édouard Gardella (LIER-FYT)
Dominique Linhardt (LIER-FYT)

Compte rendu :

Le concept d’épreuve a été introduit dans les sciences sociales au tournant des années 1980 et a été mobilisé par différentes déclinaisons de la sociologie pragmatique. Le séminaire a permis d’aborder son émergence et de le replacer dans l’histoire longue de la connaissance sociologique. Il s’agissait de déterminer comment les types de sociologie portés par la notion d’épreuve ont visé à mieux honorer le raisonnement sociologique, mais aussi de mesurer les limites auxquelles cette intention se heurte.

Le séminaire a été organisé en trois blocs. Les deux premières séances ont remonté au moment de la formulation initiale du concept d’épreuve et l’ont resitué dans la dynamique sociologique propre à cette période. Elles ont établi que la notion doit être comprise en relation et en réponse au succès des approches socio-constructivistes dans les deux décennies précédentes. Le concept d’épreuve a intégré et consolidé les avancées rendues possibles par ces approches, qui tenaient notamment à leur stratégie de « dénaturalisation » de la réalité sociale. Mais dans le même temps, le concept a visé de dépasser une limite du socio-contructivisme : la tendance à considérer que si la réalité sociale est construite, elle est « arbitraire » et ne trouve donc pas trouver dans l’expérience sociale un principe de clôture. En ce sens, le concept d’épreuve implique un « objectivisme de second ordre » : la réalité sociale n’est ni donnée « naturellement » ni arbitraire ; elle change, mais pas n’importe comment.

Les dix séances suivantes ont développé cette perspective générale en considérant cinq « fonctions théoriques » du concept d’épreuve. Le principe de cette démarche était triple. D’abord, distinguer différentes dimensions dans l’usage de la notion d’épreuve qui apparaissent le plus souvent de façon agglomérée. Ensuite, rapporter ces fonctions théoriques à la tradition sociologique, ce qui a permis de montrer que la notion d’épreuve est venue actualiser des exigences déjà présentes dans la démarche sociologique. Enfin, réexaminer l’originalité de la « sociologie des épreuves », celle-ci résidant dans la manière particulière dont elle accomplit les fonctions théoriques constitutives de la pratique sociologique.

Deux séances ont été consacrées à chacune de ces fonctions théoriques : une séance basée sur la lecture de textes visant à donner accès à la fonction théorique considérée et à la manière dont elle a été réinvestie par la sociologie pragmatique ; une séance organisée à partir du travail d’enquête réalisé par un chercheur invité (Marie Alauzen, Fanny Charasse, Carole Gayet-Viaud, Pierre Lagrange, Cyril Lemieux et Gabriel Uribelarrea). Les cinq fonctions distinguées renvoient 1) à l’analyse des interactions (ou plutôt des « actions en retour », selon la terminologie de Cyril Lemieux), 2) à la caractéristique du monde social d’être explicité et rendu réflexif par les acteurs dans le cours des actions qu’ils accomplissent, 3) à l’expression causale des dynamiques sociales en termes de chances et, enfin, à la compréhension de la vie sociale dans son caractère 4) expérimental et 5)conflictuel. Dans la discussion, il est apparu que ces catégories sont insuffisantes, la conceptualité de la notion d’épreuve devant être repensée sur un plan plus fondamental.

La dernière séance a exploré une piste de recherche permettant d’approcher ce plan. Celle-ci suppose de passer d’une compréhension épistémologique de la notion d’épreuve à une compréhension fondée sur une sociologie de la connaissance. Elle consiste donc à rapporter le recours à la notion d’épreuve à des processus travaillant la société elle-même. Ainsi, on ne peut pas ne pas considérer l’apparente affinité entre la notion d’épreuve et la poussée de l’individualisme normatif dans les sociétés occidentales. L’hypothèse qui en découle est que la sociologie des épreuves a accompagné le mouvement par lequel l’expérience individuelle est devenue la butée de l’arbitraire de la réalité sociale. Le risque est que, ce faisant, elle a renoncé au holisme. Or il est probable qu’à la différence des années 1980, ce soit aujourd’hui le holisme qui réclame d’être mieux honoré dans la démarche sociologique. La question qui reste ouverte est de savoir au prix de quelles modifications le concept d’épreuve peut servir cette tâche.

2021-2022

L'altération sociologique de l'État

Cédric Moreau de Bellaing (LIER-FYT)
Dominique Linhardt (LIER-FYT)

Compte rendu :

L’objet du séminaire a été d’aborder la sociologie de l’État dans une perspective de sociologie de la connaissance (au sens de Karl Mannheim et de Norbert Elias). Dans sa plus simple expression, cette démarche consiste à reconduire les manières dont l’État a été pensé au cours de l’histoire de la sociologie aux transformations dans l’organisation sociale. L’hypothèse à vérifier étant plus précisément l’existence d’un lien entre l’évolution de la pensée sociologique de l’État et la forme et le degré de socialisation de l’État.

Après deux séances introductives destinées à préciser les choix théoriques et méthodologiques, le séminaire a été divisé en deux grandes séquences.

La première séquence a eu pour objet de revenir à certaines œuvres fondatrices de la sociologie, d’en isoler l’aspect marquant dans leur compréhension de l’État et de le rapporter à chaque fois aux processus de nationalisation opérant dans les sociétés d’appartenance respectives de leurs auteurs. L’approche marxienne de l’État a ainsi été analysée sous l’angle des transformations intervenues dans les élites anglaises sous l’effet des changements dans l’organisation économique et administrative depuis le milieu du XVIIIe siècle. L’approche durkheimienne de l’État a été abordée sous l’angle de la construction du modèle de la citoyenneté qui s’est progressivement établi à partir de la Révolution française, et resaisi à travers l’institution de la conscription d’un côté, et de celle de la méritocratie scolaire de l’autre. Enfin, l’approche wébérienne de l’État a été resituée dans le conflit entre les classes bourgeoises, intellectuelles et entrepreneuriales, et une noblesse – celle en particulier des _Junkers_ prussiens –, à laquelle l’échec de la révolution de 1848 a permis de maintenir sa mainmise sur l’armée et l’administration centrale.

Le but de la seconde séquence a été d’étudier les variations subséquentes des trois modèles sociologiques de l’État dégagés dans la première séquence. L’hypothèse explorée dans cette deuxième séquence a été que les avancées de la sociologie de l’État sont conditionnées par une tendance générale à l’accroissement de la démocratisation fonctionnelle dans et entre les sociétés politiques. La démarche a été déclinée à une échelle large et comparative, en identifiant des périodes successives, analysées sous l’angle d’un enjeu saillant : les années 1920 à 1930 ont ainsi été considérées sous l’angle de l’enjeu des « foules » et des « masses » ; les années 1940 à 1950 sous l’angle de l’enjeu de la planification ; les années 1960 à 1970, sous l’angle de l’enjeu de la décolonisation ; les années 1980 à 1990 sous l’angle de l’enjeu des aspirations à l’autonomie individuelle.

Sociologie de la force publique

Cédric Moreau de Bellaing (LIER-FYT)
Dominique Linhardt (LIER-FYT)

Présentation :

Sous quelles conditions une force publique, instituée pour tous et agissant, supposément, dans l’intérêt de tous, peut-elle avoir légitimement recours à la violence ? Est-il possible d’éviter que l’emploi de cette violence devienne la seule propriété des agents en charge de l’exercer, mis alors au service d’objectifs personnels ? La force publique peut-elle être exercée au bénéfice de tous ou n’échappe-t-elle jamais au risque de se trouver mobilisée au profit d’une poignée de groupes sociaux ou, pour le dire avec les mots de Norbert Elias, de « petits establishments » ? Existe-t-il des points de convergence entre les attentes sociales de la population vis-à-vis des forces de l’ordre et les anticipations professionnelles produites par la constitution en profession de l’activité de policing ?

Ces interrogations sont au cœur des dynamiques critiques qui interpellent régulièrement les institutions policières et qui sont portées aujourd’hui à incandescence dans la France contemporaine. Le séminaire cherchera à montrer comment, grâce aux outils des sciences sociales, il est possible de décrire, de comprendre et d’expliquer les processus affectant l’organisation sociale par lesquels l’activité policière en vient à prêter le flanc à ces critiques, dont il faudra aussi élucider l’assise sociale et historique.

Après avoir cherché à définir les contours de ce qu’il faut entendre par « force publique », nous interrogerons l’apparition d’organisations professionnelles l’incarnant. Puis nous questionnerons la place qu’occupe le recours à la violence dans l’activité de ces organisations, avant d’interroger les différentes manières par lesquelles les forces de l’ordre apparaissent comme des lieux privilégiés où s’expriment certaines transformations sociales et historiques. Enfin, nous conclurons sur les mutations affectant les forces de l’ordre à mesure que les catégories plus générales de la guerre et du crime se trouvent reformulées.

2022-2023

Pas de séminaire.